Sentence prononcée, par la Commission d'Enquête autorisée à cette effet et tenue au Château de Christiansbourg le 25 d'avril 1772, contre Jean Frideric Struensée et approuvée par Le Roi le 27. du mois susdit. Traduite sur l'original. Copenhague.

Armoiries du Comte de STRUENSÉE.

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SENTENCE

PRONONCÉE, PAR LA COMMISSION D'ENQUÊTE AUTORISÉE À CET EFFET

ET

TENUE AU

CHÂTEAU DE CHRISTIANSBOURG

LE 25 D’AVRIL 1772,

CONTRE JEAN FRIDERIC STRUENSÉE

ET

APPROUVÉE

PAR

LE ROI

LE 27 DU MOIS SUSDIT TRADUITE SUR L’ORIGINAL.

COPENHAGUE

CHES PIERRE STEINMANN L’AINÉ LIBRAIRE

1772.

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SENTENCE

Au procés intenté par le Procureur Général du Roi & selon

l’ordre de Sa Majesté, contre le Comte Jean Frideric Struensée.

Sans parler ici des preuves par lesquelles le Comte Jean Frideric Struensée a été convaincu & de l’aveu par lequel il s’est lui même reconnu coupable, de la faute énorme, qui renferme un attentat contre la Majesté du Monarque, c’est à dire un crime de Leze-Majesté au premier chef; lequel, par nos Loix & spécialement selon l’article I. chap. 4. lib. VI, mérite une mort infamante; C'est une chose reconnue & averée que tous ses desseins & toute sa conduite pendant qu’il a eu part à la direction des affaires de l'Etat, n'a été qu’une enchainure d’ignorances, d’imprudences & de témérités, aussi bien que de ruses & d’intrigues qui aboutissoient toutes à lui obtenir entièrement l’autorité & le pouvoir par l’exclusion de tout autre.

Dans ce but, il a adopté & employé tous les moyens qui pouvoient remplir ses projets; & cela sans réfléchir le moins du

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monde si ces moyens étoient licites ou non? ni jusques où ils pouvoient s’accorder avec la nature & la forme établie du gouvernement, avec le génie de la nation, avec les constitutions & les loix fondamentales du pays, tant politiques que civiles; même sans s’embarasser que ses vues y fussent directement contradictoires.

Son véritable dessein etoit donc & de devenir seul Ministre du Cabinet avec ce pouvoir illimité & inoui qu’il sut s’arroger dans le mois de Juillet dernier, & d’éloigner, tant les sujets de leur Roi; que le Roi, de ses sujets & d’éxercer contre la Cour, contre le Souverain même cet empire despotique dont on a vu les effets avec autant de surprise que d’indignation.

C'est pour s’y élever, qu’on le vit faire tous ses efforts pendant le voyage que S. M. fit hors du pays, afin de se concilier les bonnes grâces du Roi par des attentions continuelles pour sa santé & pour ses plaisirs. Après le retour du Roi, Struensée se tint tranquille & ne parut rien moins qu’avoir en vue les honneurs & les charges que son ambition démesurée & sa passion pour le despotisme bruloient déjà de posséder.

Il vivoit a la cour, s’amusoit, ne demandoit aucune augmentation

d’appointemens & sembloit se borner au repos & à la dissipation. Mais dans le même temps, il travailloit avec secret & avec ardeur à poser les fondemens sur lesquels il comptoit d’élever l’édifice de sa brillante fortune.

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5 Il ne faut pas s’imaginer qu’il s’occupat à apprendre la langue du pays, à étudier la constitution & l’intérieur du Dannemarc, à en connoitre exactement la position politique & les vrais intérêts, à en comprendre toutes les Loix; c’étoit sans doute la route qu’il auroit du suivre: Mais s’il voulut demeurer à tous ces égards dans sa primitive & profonde ignorance, il s’appliqua par contre à établir de certains principes, & à les faire gouter au Roi pour le Gouvernement de l’Etat, afin de pouvoir s’en servir pour cacher habilement ses vues pernicieuses. Et comme il avoit encore tout sujet de craindre, que quelques personnes fidèles ne découvrirent ses mauvais desseins, ou que le Monarque lui-même ne les apperçut, il noircit auprès de S. M. & sans distinction tous ceux qui avoient l’honneur de l’approcher, croyant de prévenir par là ce prémier inconvenient. Pour parer au second il rechercha une puissante protection & voulut avoir auprès du Roi un ami si intime si solide & si confiant qu’il fut pres que impossible au Souverain de démêler ses actions & son plan de conduite.

A peine la machine etoit-elle préparée en 1770. que Struensée se hâta d’en faire jouer les ressorts.

Nos Rois ont constamment eu, depuis l’époque de la Souveraineté, un conseil composé de personnes versées dans la connoissance des Loix & des constitutions du Dannemarc, qui avoient approfondi le vrai système de l’Etat, qui ne perdoient point de vue

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les avantages & l’intérêt réel du pays, & qui savoient les règles qui pouvoient en conséquence s’appliquer dans tous les cas possibles.

Leur emploi consistoit à être auprès du Roi, toutes les fois qu’on lui proposoit des affaires importantes, & à lui donner tous les éclaircissemens qu’il fouhaitoit, afin de pouvoir décider avec sageske.

Du reste ces personnes n’avoient comme membres du Conseil, ni voix délibérative, ni expédition, ni secrétaire: car tout dépendait de la volonté du Roi, & toutes les affaires étoient préparées & digérées par les départemens respectifs.

Ce conseil si ancien, si naturel; Struensée & ses partisans vouloient l’anéantir, parce qu’il craignoit que s’il subsistoit, fut-il même composé de ses amis, il ne manqueroit point quelque jour de s'opposer à ses dangereuses idées & de les découvrir au Roi; puisqu’alors il lui seroit impossible de les exclure absolument d’auprès du Souverain & de les empêcher de lui representer son propre avantage & celui de l’Etat.

A cette fin Struensée avoit calomnié d’avance 8c par toutes fortes d’insinuations artificieuses les ministres en charge, il avoir même dépeint avec les couleurs les plus noires, des démarches incontestablement avantageuses au Roi & à l'Etat.

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7 Sa Majesté qui aime tendrement son peuple, qui exige la droiture de ceux quelle emploie & qui est justement jalouse de son autorité souveraine, perdit donc la confiance quelle avoir en son conseil & auroit voulu le remplir par d’autres sujets en lui donnant une forme différente: Mais Struensée, par les plus faux éxposés & par les traits les plus perfides, fit naître tant d’obstacles à la volonté du Monarque, que le conseil cessa peu à peu d’être convoqué & fut enfin solemnellement cassé par l'acte du 27 Décembre 1770.

Dans le meme temps Struensée devint Maître des Requêtes & comme son principal plan étoit d’être seul autorisé à parler d’affaires avec le Roi, & d’en écarter généralement tout autre, il lui parut que les collèges qui subsiftoient encore, devoient lui faire ombrage à cet égard.

C'est pour cela qu’il représenta au Souverain, lequel vouloit être instruit à fonds des affaires que les Collèges renvoyoient à sa décision suprême; que pour parvenir à cette connoissance entiére, il n’y avoir rien de mieux que de donner ordre aux dits Collèges de mettre leurs éclaircissemens par écrit & de les faire parvenir dans un porte-feuille afin que Sa Majesté eut le temps nécessaire pour les lire & pour les examiner.

Par cet avis spécieux & utile en apparence, Struensée parvint à son but qui étoit d’éloigner de la personne du Roi, ceux qui composoient les Collèges.

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8 Il ne tarda pas à s’emparer du porte-feuille & par là il devint le maître de rapporter au Roi les affaires comme bon lui sembloit.

Au cas même que les Collèges eussent voulu pour mieux informer Sa Majesté, porter jusques au Trône les preuves nécessaires, il falloit absolument qu’ils s'adressassent à Struensée; par quoi il devint lui seul ce que le conseil & les collèges avoient été auparavant.

Sous prétexte de procurer l'expédition plus prompte de certaines affaires & de faire paroitre en même temps la Puissance Royale dans tout son éclat, il fit donner plusieurs ordres du Cabinet, qui furent expédiés sans que les Départemens dont ces affaires ressortissoient en eussent la moindre connoissance: opération, qui devoit nécessairement produire la confusion la plus horrible & qui étoit hazardée par un homme qui ne connoissoit ni le pays, ni son état, ni ses loix, ni sa langue. Mais c'étoit là le dernier de ses soucis pourvu qu'il put s'attirer tout le pouvoir & toute la considération

L'ignorance profonde ou étoit le Comte Struensée de tout ce que chaque Ministre du Dannemark doit connoître & sa négligence totale à s'en instruire ont créé des infortunes sans nombre tant pour le public que pour les particuliers.

Dans tous les collèges, qui avoient précédemment coutume de donner leur travail au Roi en langue danoise, l'on fut obligé de prendre

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9 un homme, uniquement pour le traduire en allemand, afinque le Comte Struensée en put faire lecture. La Chancellerie Danoise, le seul college qui continuât de presenter ses papiers en Danois, n’a eu que trop d’occasions de se convaincre, que ces papiers n'étoient point du tout regardés. L'on en faisoit simplement un extrait, qui étoit ordonné très brief; on le portoit sur ce que l'on nommoit le Rotulus, alors il etoit traduit en allemand & lu par le Comte Struensée: Ensuite la décifion paroissoit en allemand & il falloit encore la translater en Danois pour la Chancellerie. Il résultoit naturellement de là, que la décision étoit fort souvent équivoque, oscçure, & peu adaptée à l'affaire en question puisque celui qui la rapportoit au Roi, l'avoir rarement bien conçue..

Les particuliers qui vouloient présenter quelque supplique au Cabinet & l'avoient couchée en danois, cherchoient par-tout quelqu'un qui put la rendre en allemand; dans la persuasion (peut-être fort bien fondée) que leur requête ne seroit pas même lue, si elle etoit en danois. Sans compter que ces traducteurs allemands à bas prix, les arrangeoient fouvent de maniére qu'on ne pouvoir plus comprendre quel étoit le but du Suppliant.

L'ignorance du Comte Struensée par rapport à l’intérieur des Collèges, son peu de penchant à l’apprendre, son ardeur à bouleverser l'ancienne disposition de l'Etat, & à se faire des créatures en plaçant par tout & dans des places importantes des gens qui lui devroient leur fortune: Toutes ces circonstances le poussérent à dé-

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10 truire un Collège après l’autre & comme il ne pouvoit ni ne vouloit travailler, il se servit pour ces changemens considérables de personnes dont plusieurs ont avoué dans la suite, qu’elles ne connoissoient absolument point & n'avoient point cherché à connoitre la nature des arrangemens précédens, leurs avantages, ou leurs défauts; parce qu’on leur avoir simplement commandé de faire un nouveau plan d’après quelques conditions prescrites au préalable.

Dès que le Comte Struensée eut usurpé de cette façon toute l’autorité & tout le pouvoir par l’abolition du conseil privé, par f l'affoiblissement, le changement de la plupart des autres collèges & par l'empêchement qu’il avoit mis à ce que leurs deputés ne rapportasfent de bouche au Roi les affaires; il se passa peu de temps avant que les sujets de Sa Majesté n’aperçussent & n’éprouvâssent généralement les effets de ses idées & de ses principes despotiques.

Par une suite du gouvernement doux & paternel auquel on croit accoutumé depuis si long-temps en Dannemarc, comme nos l'avons dit ci-dessus & pour la continuation duquel on sembloit avoir une sorte de droit de possession, chacun de ceux qui avoiént une charge donnée par le Roi, se croyoit fondé en le regardant comme assurée tant qu’il remplissoit les devoirs de son emploi & qu’il se conduisoit bien: en sorte qu’il n’avait point à craindre de perdre sa place, à moins qu’il n’en fut privé par sentence du Juge & n’en fut déclaré indigne pour cause de négligence, de faute, ou de malversation. Ces principes d'équité qui caractérisoient la douceur du gouvernement & produisoient

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11 les plus heureux éffets, n'etoient point du goût du Comte Struen- sée, qui ne vouloit pas être gêné & moins que jamais lorsqu’il s'agissoit de faire quelques malheureux pour pénétrer les autres d'effroi par cet exemple.

Voila pourquoi l'on apprenoit souvent & presque tous les jours, que tantôt l'un tantôt l'autre avoit été privé d’un poste qu’il tenoit du Roi & cela par un ordre du Cabinet, sans qu'on eut daigné lui apprendre en quoi il avoit manqué & quelle étoit la cause de sa démission.

Quelques uns même perdirent leur emploi sans avoir vu un ordre du Roi qui le portât & sans en rien avoir su autrement, qu’en entendant dire que leur emploi avoit été donné à un autre par or dre du Cabinet; ce qui s'étendoit jusques aux colléges entiers.

Toute la magistrature de Copenhague, qui consistoit en 18 à 20 personnes ou plus, fut congédiée: l'on en constitua une nouvelle par ordre du Cabinet daté du 3 Avril 1771. adressé au Grand-Président, lequel avoit aussi remplacé son prédécesseur par un ordre semblable & qui se contenta de marquer par une lettre aux magistrats précédens, qu’ils etoient démis; il écrivit aussi aux nouveaux qu'ils eussent à se rendre dans la maison de Ville: Mais les congédiés n'apprirent ni quels étoient leurs manquemens, ni la raison de leur renvoi.

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12 Outre le magistrat il y avoit encore à Copenhague une autre assemblée publique ou collége, nommé les 32. Leur établissement venoit de ce que les bourgeois ayant fait paroitre leur fidélité & leur courage pendant le siége de Copenhague & dans l'affaire de la Souveraineté, le Roi leur avoit solemnellement accordé le 24 Juin 1664. quelques privilèges, entre lesquels étoit celui qui permettoit à la bourgeoisie de choisir conjointement avec le Magistrat 32 des plus distingués d’entre eux pour veiller avec le même Magistrat à l'avantage & au bien de la ville & de ses habitans, aussi bien que pour avoir l’œil à la recette & à la dépense publiques. C'est pour cela que le Prince avoit accordé à leurs députés un libre accès auprès de sa Personne Royale.

Cette assemblée que l’on envisageoit comme le plus précieux privilège de la ville, qui avoit produit plusieurs bons & heureux effets & qui ne coutoit pas un sol au Roi, ni à la Ville fut pareillement anéantie par un ordre du Cabinet; en vertu duquel le susdit nouveau Grand-Président leur fit signifier qu'ils n'eussent plus à s'assembler & fit fermer dans la maison de ville la sale destinée à leurs sèances. Cet exemple & beaucoup d’autres pareils, qui démontroient tous qu’il n'y avoir rien de sacré pour un homme aussi imprudent que furieux, aussi ennemi de la sagesse & de la douceur que de l’ordre & des bonnes moeurs, firent une impression étonnante sur le peuple: il sembloit à la nation qu’elle avoit été tout à coup transportée sous quelque climat de l’Orient.

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Les uns gemissoient & soupiroient, d’autres témoignoient tantôt d’une façon tantôt d’une autre leur surprise & leur indignation. Tous s’accordoient neanmoins à dire que le cœur tendre & paternel du Souverain étoit toujours le meme à l’égard de ses sujets, si leurs plaintes & leurs soupirs pouvoient seulement pénétrer jusques au Trône & que Sa Majesté put connoitre la réalité de leur état.

Mais ce bonheur paroissoit impossible par les funestes précautions qu’avoit pris Struensée. Il avoit mis auprès du Roi le Comte Brandt son intime ami; & comme, suivant le proverbe connu, (Nulla amicitia nisi inter bonos; il n’y a point d’amitié solide qu’entre des personnes vertueuses) il n’etoit pas bien sur de la constance de cet attachement; il chercha à le rendre durable par le moyen de l’intérêt & ainfi que nous le verrons bientôt, aux dépens de la caisse de S. M.

Le Comte Brandt qui obsédoit sans cesse le Roi, l'affermissoit dans la persuasion de tout ce que Struensée insinuoit & proposent à son Maitre: Il veilloit auffî à ce que personne ne pût découvrir au Monarque la vérité, qui auroit montré l’erreur de ces infirmations.

Il n'y avoit plus de conseil & pour ainsi dire point de ministire. Personne ne parloit au Roi seul, excepté ceux dont Struensée se croyoit sur: ou si cela arrivoit, cétoit un instant; du moins si peu de temps qu’il ne permettoit ni narré, ni discussion. Tous les au-

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tres étoicnt éloignés de la personne de S. M. éloignement qui s'etendoit jusques à la famille auguste & aux plus proches alliés du Roi, pour lesquels ce Prince avoit toujours fait voir une affection & une tendresse fingulières. Mais depuis que le Comte Struensée eut usurpé la régie de la cour & du Royaume, ces respectables personnes approchoient rarement de S. M. & ne trouvèrent jamais le moyen de lui parler en particulier, autrement elles n’auroient pas manqué de lui exposer le bien de l'Etat & les inquiétudes de tous les sujets à son egard: c’est dequoi ces ames illustres ont donné dès qu’il a été possible, les preuves les plus incontestables, que l'on ne sauroit jamais asses reconnoitre & asses priser.

Il etoit impossible que par une conduite si despotique si violente & si insensée, le Comte Struenfée ne s'attirat la haine publique.

Ses émissaires & ses partisans, dont il avoit bon nombre, quand ils n’osoient se hasarder à justifier ou à excuser ses actions, cherchoient au moins à relever & à publier son prétendu désinteressement qu’ils plaçoient en ce qu’il etoit satisfait des gages modiques qu’on lui avoit assignés, sans qu’on le vit demander pour lui-même ou pour les siens ni argent ni distinctions. Nous laissons pour ce quelle etoit, la persuasion que l’on pouvoit avoir de cette modération. Mais ce qu’il y a de vrai, c’est que le Comte Struensée avoit pris des mesures bien concertées, pour cacher son avidité & dans ce moment là & dans la fuite. Mais on n’a depuis lors que trop clairement appris & de¬

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montré, qu’il á été un homme très-intéressé & très-avide, que l’on peut dire avec raison avoir pillé la caisse du Roi.

Il avoit des appointemens très-honnêtes & considérables, avec lesquels il pouvoit d’autant mieux vivre qu'il avoir tout franc à la cour jusques aux festins qu’il donnoit; & qu’il savoit asses, qu’il avoit lui-même assés publié le pitoyable état où se trouvoient depuis longtemps & la caille publique & celle de S. M.

Malgré tout cela, il laissa à peine passer 2 ou 3 mois, après l’abolition du Conseil & après son avancement à la charge de Maitre des Requêtes, sans abuser de la bonté du Roi & sans lui demander & en recevoir un présent de 10000 écus pour lui-même & d'autant pour son ami le Comte Brandt. On auroit du croire qu’un présent de cette force pour ces deux gens, dont l’un étoit Maitre des Requêtes, l'autre Directeur des Spectacles & tous deux entrés dans ces charges depuis peu, auroit du rassasier pour long temps leur avarice; mais au contraire il ne fit que l’irriter: Car le Comte Struensée après avoir reçu ce don au mois de fevrier ou de mars, eut encore dans le mois de mai, c’est à dire deux ou trois mois après; 50, ou 60000 Rigsdalers & tout autant pour son ami Brandt. Ainsi pendant l’espace de 3 à 4 mois ces deux personnes, outre leur entretien, ont couté au Roi 140000; ou du moins 120000 écus. (car il n’est pas encore possible, vu l’extrême confusion des comptes de Struensée, de marquer surement une de ces deux sommes). On ne compte pas même là dedans les dons qu’ils ont fait faire à leurs

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amis avant & après cette Époque; comme par exemple 4000 écus au Conseiller de justice Struensée, 3000 à la Comtesse de Hol stein, 3500, ou plus au Chambellan Falkenschiold &c.

Que cette avidité du Comte Struensée laquelle est inexcusable, ait été réfléchie & préméditée, c'est ce qui se voit par la manœuvre adroite qu’il a inventée uniquement pour pouvoir obtenir & prendre cet argent, sans que personne le sût.

Pour y réussîr il résolut d’abord d’abolir ce que l'on nommoit le Trésor (cétoit une Somme mise en réserve pour les cas pressans & imprévus) & de le faire entrer dans la caisse publique. Mais comme pour venir à la caisse publique, il falloit qu’elle passst par le Cabinet il proposa au Roi d’en prendre 250000 écus, pour en former une Caisse particulière du Cabinet, qui seroit sous sa seule direction.

C'est ainsi que le Comte Struensée eut la facilité de recevoir & de retenir des Sommes considérables, sans que personne put le découvrir.

Aussi dirigea-t-il si bien cette Caisse que quoique dans le temps de sa création (qui étoit le mois d'Avril 1771.) elle consistât en 250000 écus; à la fin du mois de mai suivant il ne s’y trouvoit plus que 118000 Rdlr, & cependant la caisse n’avoit eu de débours que des présens de cette nature.

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17 Ces 112500 écus restans auroient sans doute pris peu à peu la même route, si Struensée en avoit eu le temps & le pouvoir,

Par tout ceei l'avarice & la honteuse avidité de Struensée sont devenues si claires, que ceux qui ont exalté son désintéressement, sont forcés d'avouer qu'ils l'ont peu connu, ou qu’ils ont été très-mal informés.

Mais ce n'est pas tout. Il y a ici la plus forte présomption, que le Comte Struensée a fait un vol le plus hardi, le plus honteux & le plus digne de punition. Parmi les papiers du dit Comte Struensée, le trouve un compte de recette & débours de la caisse particulière du cabinet pour les mois d'Avril & de Mai 1771. approuvé par S. M. comme on le croyoit suspect, on le montra au Roi qui déclara d'abord, se souvenir très-distinctement qu’il avoit dans ce temps donné 10000 écus à la Reine, 6000 Rdlr. au Comte Struensée, autant au Comte Brandt & rien de plus. Toutes ces sommes font ensemble 22000 écus; mais par l’inspection des papiers de Struensée, il est plus clair que le jour, que le montant qui a d’abord été 22000 écus, a ensuite été changé. L'on a fait du 2 un 3 (& cela saute aux yeux) l'on a mis ensuite un chiffre à la gauche, pour lequel il ne s'est pas trouvé de place qu'au dedans de la ligne ou raie (qui sépare de haut en bas la spécification d'avec les sommes) contre la façon dont sont écrits non seulement les autres comptes, mais encore celui-ci même dont il s'agit, sur la page précédente où la recette est couchée. Par cette fourberie la somme susdite de

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18 2 2000 écus se trouve transformée en celle de 142065 laquelle somme se rencontre aussi juste lorsque les 6000 de Struensée sont au moyen d’un Zéro changés en 60000 écus: que l'on y ajoute 2000 pour le Chambellan Falkenshiold: lequel dernier article semble y avoir été porté, afin qu'en mettant 130000 au lieu de 22000; l'on ne fut pas encore obligé de faire du second 2 un Zéro.

Ces apparences, dont personne ne peut si bien concevoir la force que ceux qui voient & examinent les documens en question, lesquels par la position des chiffres fournissent encore plus dargumens; ces apparences, dis-je, sont encore fortifiées par le concours d'autres circonstances; par éxemple: Le compte d'Avril & de Mai est écrit de la main même de Struensée, pendant que les autres extraits & comptes sont couchés par celui qui étroit alors secrétaire du Cabinet, & cela parceque Struensée ne vouloit point de témoin qui pût découvrir son infidélité. De plus depuis ce temps là, le Comte Struensée n'a donné aucun compte au Roi pour cette caisse avant la fin d'Octobre, quoique dans le mois de Juin la caisse ait eu un débours de 2000 écus donnés au Conseiller de Justice Struensée. Cette négligence, ou cet oubli paroit avoir été volontaire, afin qu’y ayant un long temps entre les comptes, S. M. ne pût pas si bien se rappeller l'état ou la caisse se trouvoit auparavant. Il faut ajouter ici la réflexion très-naturelle faite la dessus par le Roi même; c'est qu’il n'y avoir point de vraisemblance à ce qu'il eut donné 50 à 60 mille écus pour Struensée & autant pour Brandt, dans le moment même où il n'en donnoit à la Reine que 10000.

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Quoique le Comte Struensée n’ait pu nier fon avidité prouvée par la demande qu'il convient d’avoir faite au Roi, de cet argent; il a cependant assuré n'avoir voulu faire aucune tromperie à ce sujet; il avoue bien qu’il a fait la demande de cette somme & que S. M. lui fit present de 50000 écus avec pareille somme pour le Comte Brandt; mais que les 10000 écus qu'ils avoient reçus précédemment n'ayans pas été portés en compte, il les avoit joints à ce dernier don: malgré cette excuse il a été forcé de reconnoitre lorsque la Commission lui a exhibé les documens & les Comptes, que toutes les circonstances concouroient à former contre lui une présomption qu'il n'avoit aucun moyen d'éluder. Sur quoi il a gémi de sa négligence & de son manque d’ordre.

Que l'ambition du Comte Struensée n’ait pas été moins grande que son avarice; & que sa modération pour les titres & le rang n’aît pas mérité plus d’éloges que celle qu'il a fait paroitre pour les richesses; c'est ce qui se voit très évidemment.

Dans l'espace de deux années, il a fait un chemin que d’autres avec bien plus d’habileté & de mérite ont à peine fait en 30 années ou plus. Dans la position où il se trouvoit, il n'etoit pas possible qu'il ne fût très-considéré soit à la cour, soit dans la ville: mais ce n'etoit rien pour lui.

A force de sollicitations il porta le Roi à le nommer Ministre privé du Cabinet le 14 Juin 1771. projet dont il avoir dérobé

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la connoissance, même à les plus intimes amis, jusques au moment de la réussite. Quelques jours après & lui & le Chambellan Brandt furent crées Comtes.

Quoiqu’en qualité de Ministre privé du Cabinet Struensée se regardât comme le prémier particulier de l’Etat; il n’etoit point encore satisfait du titre seul & du pouvoir qu’il avoit eu ci-devant: mais il voulut attacher à sa place des prérogatives, qui ne convenoient absolument point à un sujet, & qui déroboient au Roi une partie de la Puissance Souveraine laquelle n’appartient qu’à lui seul.

Le Comte Struensée s’etant déjà arrogé toute l’autorité & tous ceux qui environnoient le Roi étant les créatures qui ne faisoient que publier les louanges du Ministre; il étoit naturel que S. M. prit quelque confiance en lui. D’ailleurs comme il étoit le seul qui parlât d’affaires au Monarque il n’étoit presque pas possible que le Roi ne consentit à ses propositious. Il avoir donc tout ce qu’il pouvoir desirer; mais l’ambition effrénée est insatiable. Les Collèges & d’autres personnes ne vouloient pas toujours lui obéir & exécuter ses ordres, à moins que de voir la signature du Roi même.

Cette liberté choquoit Struensée & on a tout lieu de croire qu’elle ne s’accordoit point avec ses vues secrettes: Il vouloit que son nom eut le même effet que celui du Roi & que chacun fut obligé d’obeïr à l'un comme à l’autre.

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Cest à quoi il parvint aussi par un ordre du Roi projetté par Struensée même, & daté du 15 Juill. 1771 lequel ordre regardant sa charge de Ministre privé du Cabinet, parvint aux Collèges & ensuite au public. Car dans le i Art. Tous les ordres signes de Struensée & munis du sçeau du Cabinet, sont absolument mis en égalité avec les ordres signés de la main du Roi & paraphés par Struensée. Et dans le 4 article il est clairement dit, que tous & un chacun doivent suivre & éxécuter les ordres du Cabinet expédiés & signés par Struensée. Bien est-il vrai que le même article semble contenir une sorte de limitation, dans ces mots: Autant qu'il n’y a aucun Edit ou ordre de S. M. qui y soit contraire. Mais la suite démontre que c’est plutôt une Extension: Car au lieu que l'on s’attend à trouver qu’en cas d’ordre contraire on doit suspendre l’éxecution du dernier, jusques à une nouvelle résolution du Roi; il y a: Auquel cas, il faut d’abord le faire savoir au Cabinet. C'est à dire, que si quelqu’un avoit quelque représentation à faire contre Struensée, ou contre son ordre, il devoit s’adresser à Struensée même; & que s’il ordonnoit nonobstant toute remontrance d’éxécuter son premier ordre, il n’y avoit plus rien à répliquer. C’est aussi de cette façon que le Comte Struensée l’a entendu & pratiqué. Par ce moyen il usurpa une portion de la Souveraineté; & par ce qui s’étoit passé, l’on pouvoir aisément conclure que son plan étoit de prendre en tout la place du Souverain.

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22 Puisque Struensée convient d’avoir lu la Loi Royale & qu’en qualité de Ministre il doit exactement la connoitre; il ne peut ignorer que le 7 art. éxige, que tous les ordres du Gouvernemement, toutes les lettres et les expéditions doivent être signées du Roi même. Mais l’article qui s’adopte le mieux ici est le 26 de la Loi Royale, où le feu Roi & prémier Souverain Frideric III. semble avoir eu un préssentiment qu’il s’eléveroit un jour un Struensée dans le Dannemarc: Il y expose combien il est funeste, d’abuser de la douceur & de la bonté des Rois, pour sapper insensiblement leur autorité & leur Puissance; & combien il esf à désirer que les Souverains veuillent conserver leurs droits. Après quoi il recommande aux Rois de Dannemarc à venir & les conjure de maintenir avec soin & avec vigilance leur Empire Souverain intact & illimité. Enfin il conclut en disant; Que si quelqu’un etoit asses hardi pour projetter et faire quelque chose qui pût de maniére ou d’autre attaquer ou diminuer le pouvoir absolu et Souverain du Roi; tout ce qu’il a fait doit être comme non avenu et le coupable doit être puni comme s’étant élevé contre la Majesté Royale et ayant grièvement offensé La Puissance suprême et ablolue du Roi.

Le Comté Struensée n’avoit qu'à jetter les yeux sur ces paroles pour y lire sa sentence, quand même il nauroit pas commis un autre crime tout aussi capital contre la Majesté du Souverain; en ce qu’il a été non seulement complice & instigateur, mais encore té-

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23 moin de l'attentat énorme exécuté contre la personne même du Roi par son intime ami, le Comte Brandt.

La manière dont le Comte Struensée a éxercé le pouvoir qui lui avoit été confié comme Ministre privé du Cabinet, loin de l’excuser, le charge encore extraordinairement: car elle démontre qu'il a considéré le bien-être, l’honneur, la vie & les biens des sujets du Roi, comme entièrement abandonnés à sa discrétion.

Par des ordres du Cabinet donnés & signés de sa main il n'a fait aucun cas des édits précédens du Roi qui y etoient opposés quoi qu’on les lui aît fait connoitre.

Il a donné de pareils ordres dans les affaires les plus importantes, à l’insçu de S. M. & pour l’éxtrait de tous les ordres du Cabinet, qu’il devoir présenter à S. M. chaque semaine selon le 3 Art. de l’ordonnance Royale du 15 Juillet 1771. il l'a negligé en partie, ou s’il l’a donné il l’a conçu de manière qu’il n’est pas possible de

comprendre ni la nature de l’ordre, ni les circonstances.

Lors qu’on lui remit la direction de la caisse particulière du Roi, (car il avoir la passion de diriger toutes les caisses) il trouva à propos de donner au Caissier une nouvelle instruction de sa main.

Comme le Caissier lui représenta pour lors qu’il avoit déjà une inftruction du Roi, qui ne pouvoit être annullée que par un or-

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dre exprès de S. M.; il reçut une réponse qui renfermoit une sorte de reprimande, & par laquelle il lui commandoit une seconde fois de suivre sa derniere instruction telle qu’elle lui étoit prescrite.

La troupe magnifique des gardes à cheval; toute composée de Danois & de Norvégiens, qui par cette raison n'avoit pas le bonheur de plaire au Comte Struensée & qui ne pouvoit pas être fort couteuse, puis qu’elle avoit déjà été réduite à deux seuls escadrons, fut congediée au printemps de 1771. par l’idée & le vouloir du dit Struensée & contre le sentiment du collège de la généralité.

Il restoit encore les gardes à pied qui faisoient cinq compagnies de gens braves & affidés, que l'on pouvoit employer en toute sureté pour la garde du château & des appartemens de la maison royale: Mais ils avoient une qualité qui empêchoit le Comte Struensee de se fier à eux; ils étoient tous Danois ou Norvégiens.

Il y avait long temps qu'il méditoit la réduction de ce corps, il en avait même parlé à plusieurs personnes dont la plupart l’en

avaient détourné: Mais enfin il rompit la glace & sans le dire au Roi

(comme S. M. l’a elle même déclaré) il expédia un ordre de cabinet du 21 Decemb. 1771. adressé au collège de la généralité & du Commissariat, par lequel les 5 compagnies des gardes à pied dévoient être transformées en 5 compagnies de grenadiers & une d’elles

ajoutée à chacun des cinq régimens d’infanterie qui étoient en garnison à Copenhague &c.

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25 Il laissa passer le 22. 22. & 23. Décembre sans parler des gardes à S. M. (ce dont le Roi assure se bien souvenir) quoique dès le 23. Struensée fournît au collège de la généralité une approbation signée du Roi touchant le susdit ordre de cabinet du 21. parce que ce collège vouloit une décision du Roi, à moins de laquelle il refusoit d’exécuter l'ordre du Cabinet, d’autant plus qu’il regardoit la chose comme très importante & prévoyoit peut-être les fuites, qu'elle pouvoit avoir.

Mais comme les gardes demandèrent le 24 Dec. qu’on leur tint leur capitulation & que c’etoit y contrevenir que de les forcer à servir dans les autres Régimens; Struensée se vit obligé de communiquer au Roi toute l'affaire, ajoutant le conseil d’employer la force pour les y contraindre. Cependant le 24 Dec. il fut expédié un ordre du Roi, portant que tous les gardes qui ne voudroient point servir comme grenadiers, pourroient avoir leur congé. Ainsi l’issue de cette opération de Struensée fut, que le Roi perdit de ses troupes, plusieurs centaines de gens braves, fidèles, sur lesquels on pouvoit compter & tous enfans du pays. Au reste la conduite suspecte & perfide de Struensée dans cette rencontre saute d’abord aux yeux, lorsque l’on confronte le Protocole qu’il a tenu des ordres du cabinet, avec l’extrait qu’il en devoit faire chaque semaine pour le montrer au Roi.

Dans le protocole, on trouve l’ordre susdit du 21 Dec. placé sous sa vraie date, au numéro 709. Ensuite viennent plufieurs autres

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ordres du cabinet expediés le 22. 23. 24 Decemb. jusques au. No. 733. Mais l'ordre spécifié ci dessus du 24 Decemb. ne s’y trouve point, il y a seulement à la fin du 24 une place vuide pour le mettre. Au lieu que dans l'extrait des ordres du cabinet depuis le 19 au 25 Décembre, qui a été fait le 31 Decemb. & après cela donné au Roi, l’on trouve les deux ordres du Cabinet du 21 & 24 Decemb. rapportés à la fin l'un après l’autre sous les No. 22 & 23. tout com¬

me s’ils avoient été expédiés ensemble & à la meme date. Par contre tous les ordres de cabinet qui ont été expédiés entre le 22 &

le 23 Dec. n’existent point dans cet extrait. D’où l'on peut juger

de fa justesse & de la confiance qu’on doit y prendre.

Le protocole dont nous venons de parler prouve aussi que quoique le Comte Struensée eût dès-lors & longtemps auparavant, pris des mesures, afin que personne ne pût soit de bouche, soit par écrit, découvrit au Roi quelque chose capable de lui faire tort, il se vit néanmoins contraint, lors du renvoi des gardes à pied, à chercher de nouvelles précautions: car le 23 Déc., il expédia deux ordres du cabinet, l'un au Conseiller d’Etat Waitz à Hambourg; portant, que les pacquets qui viendroient par la poste pour S. M. devoient désormais être adressés au cabinet. L’autre à Wegner Intendant de la Cour, enjoignant que toutes les lettres, & paquets adressés au Roi, & les porte-feuilles venant de Copenhague, fussent déformais livrés, non dans l'antichambre de S. M. mais au comptoir du cabinet. De ces deux ordres, quoi qu’ils parussent concerner le Roi même, l'un est entièrement omis & l’autre

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27 très - imparfaitement exprimé dans l'extrait dont nons avons parlé & par conséquent S. M. les a ignorés.

Si le Comte Struensée, laissoit plus paroitre de jour en jour sa défiance par rapport à la nation, l'on peut dire aussi que la haine publique contre lui prenoit de nouvelles forces & éclatoit de toute façon. Ainsi, l’on vit paroitre pendant l'Eté de 1771. nombre de satyres, dont le style & la composition marquoient sans doute que la plupart venoient du bas peuple mais qui démontroient toutes l’attachement le plus fort pour le Souverain & la disposition sincère de la nation à verser son sang pour son Roi. Toute l’amertume & l’aigreur de ces écrits n’avoient donc pour objet que le Ministre privé du Cabinet & ses créatures.

Ces écrits diffamatoires & l’arrivée subite à Hirscholm de quelques matelots & autres qui croyant avoir été lésés vouloient faire au Roi même leurs plaintes & leurs demandes, jetterent une telle frayeur dans l'ame du Comte Struensée, qu’il fut fut le point de partir & de tout abandonner.

Mais il ne suivit pas ce dessein, retenu sans doute par le conseil de ses amis; au contraire il parut qu’il avoit résolu de se maintenir dans son poste, par tous les moyens possibles, envers & contre tous; résolution qui produisit des demarches auparavant inouies.

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Lorsque Leurs Majestés venoient en Ville toujours obsedées de Struensée, Elles avoient une escorte hors d’usage. Par tout où L. M. s’arrêtoient soit au palais soit à la comédie on doubloit la garde &c.

C’est ainsi qu'à plusieurs égards on voyoit croître la fureur des habitans de la Capitale contre Struensée: Ils jugeoient par ces escortes que le Ministre vouloit persuader au Roi qu'il y avoit parmi eux dés gens mal intentionnés pour le Souverain & pour sa famille. Enfin ils concluoient de là que selon toute apparence, le Comte Struensée devoit avoir d'autres vues secrettes & ambitieuses, mais détestables & dignes d'une punition exemplaire.

Il faut aussi convenir que la plupart des choses qui se passérent cet Eté-là surtout vers l'automne étoient bien propres à fortifier leurs soupçons. Et Struensée lui même n'a pas nié que ses démarches n'avoient pour but que le maintien de son autorité à quelque prix que ce fut.

Nous avons remarqué que la garde à cheval n'existoit plus: Mais Struensée toujours rempli d'appréhension voulant avoir de la Cavalerie près de lui, l'on forma un corps nommé de l'exercice. Cependant ayant bientôt remarqué que tant les officiers que les Soldats étoient Danois & point du tout des gens à lui, sa com fiance se perdit & ils furent renvoyés vers l'automne.

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Il fit ensuite venir le Regiment de Zéelande, Dragons; lequel a donne des preuves sans réplique, qu’il n'étoit pas mieux disposé en faveur du Ministre.

Il fit en sorte que deux des Regimens qui etoient de garnifon à Copenhague, eussent ordre d'aller au printemps en d’autres villes. Au lieu qu'on choisit pour cela les régimens les moins anciens, il voulut (par des raisons à lui connues & qui ne sont pas difficiles à deviner) que l’on fit partir le Régiment du Roi & celui du Prince Frideric son frere: & cela contre l'avis de la généralité, sans en parler au Prince qui en est le chef pour demander son consentement.

Il intrigua pour mettre dans Copenhague un autre Commandant, dont il croyoit être entierement sur.

Mais ce qui mit le comble à tous les soupçons & à l'aigreur des habitans de Copenhague; c'est qu'ils apprirent que par le moyen du Commandant, Struensée avoit fait placer des Canons près de I’Arsenal; que les cartouches etoient préparées, les gens commandés pour servir l'artillerie, de forte qu'au premier signal on pouvoit faire feu. Ce manége fut absolument caché au Roi, comme il est aisé de le comprendre.

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Enfin le Roi, son Auguste maison & tout le peuple ne pouvoient que perdre patience en voyant, outre tout le reste, combien cet homme étoit absurde & téméraire, dans l'éducation inouie qu'il osoit donner au Prince Royal; par laquelle cet illustre enfant a souvent risqué de perdre la santé & la vie.

L’irritation etoit donc au plus haut degré & pouvoit avoir les plus funestes suites, lorsqu’un heureux évenement termina les desseins pleins de ruse & les actes despotiques de cet homme bouffi d’orgueil, imprudent, violent & dévoré d'ambition.

Puis donc qu’il est clair que, par tout ce que dessus, le Comte Struensée, de plus d'une maniere & à plus d'un égard a lui même commis & aidé à d'autres à commettre un Crime de Lèse-Majesté au prémier chef: De plus, que toute son administration n'a été qu’une suite de violences & d’injustices, qu'il a indignement & criminellement parachevées; de mépris pour la Religion, la saine morale & les bonnes moeurs, témoigné non seulement par ses discours & par ses actions, mais aussi par des démarches publiques; à ces causes, nous prononçons, en vertu de la loi du Dannemarc Liv. VI. Chap. 4. Article 1. „Que le Comte Jean Frideric Struensée

doit, pour peine par lui justement méritée, & en exemple d'horreur pour les gens du même caractère, perdre l'honneur, la vie &

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31 les biens, être dégradé de son titre de Comte & de toutes ses autres dignités, & voir briser les armoiries de Comte par la main du bourreau: De plus Jean Frideric Struenfée perdra, lui vivant, la main droite, ensuite la tête; son corps sera partagé en quatre & mis sur des roües, sa tête & sa main sur un poteau."

Fait dans la Commission, au Château de Christiansbourg le 25 Avril 1772.

étoit Signé.

J. K, Juel Wind. (L. S.)

Luxdorph.

(L. S)

J. E. E. Schmidt. (L. S.)

G. A. Braem. (L. S.)

A. G. Carstens. (L. S.)

F. C. Sevel (L. S.)

H. Stampe. (L. S.)

Kofod Ancher. (L. S.)

O. Guldberg. (L. S.)

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APPROBATION DU ROL

Nous - - après avoir vu la Sentence prononcée par la Commission d’enquête etablie par Nous au Château de Christiansbourg; laquelle Sentence condamne Jean Frideric Struensée, pour crime de Lèze-Majesté au premier chef commis par lui à plus dun égard, à perdre l’honneur, la vie & les biens, à être dégradé de son titre de Comte & de toutes ses autres dignités, à voir ses armoiries de Comte brisées par la main du bourreau; de plus à perdre, lui vivant, la main droite, ensuite la tête; son corps à être mis en quartiers sur des roues, sa tête & sa main sur un poteau - - l’avons ici en tout approuvée. Enconséquence ceux à qui il appartient auront à s’y conformer en toute obéïssance. Donné à notre Château de Christiansbourg, le 27 Avril 1772.

etoit signé

CHRETIEN.

plus bas. O, Thott.

Luxdorph. A. Schumacher. Dons. Höyer.

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