Lettres écrites par un anonyme à Enevold Brandt, et trouvées dans le porte-feuille, qu'il avoit toujours porté sur lui.

LETTRES

ÉCRITES

PAR

UN ANONYME

À

ENEVOLD BRANDT,

ET

TROUVEES

DANS LE PORTE-FEUILLE,

QU’IL AVOIT TOUJOURS PORTÉ SUR LUI.

COPENHAGUE,

CHES PIERRE STEINMANN, LIBRAIRE.

1772

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Monsieur!

Vous serez peut-tre surpris de recevoir une lettre

anonyme sur une affaire d’une si grande importance

& d’un ami, qui, en d’autres occasions vous a dit la vérité tout uniment; mais les temps, dans lesquels nous vivons, ne permettent pas, qu’on s’expose, peut-être inutilement.

Les deux derniers jours de Cour à Hirschholm j’ai épié l’occasion de vous dire deux mots à l’oreille, mais il m’a été impossible. Vous avez pu le remarquer, si vous y avez fait attention. Je vous ai trouvé si occupé d’un autre objet, que je n’ai pu approcher de vous d’assez près pour vous le faire observer, & je n’ai pas jugé à propos d’aller à Hirschholm exprès pour vous voir.

Vous avez une fois montré, Monsieur, que la gloire de Vôtre Mâitre vous etoit chère. On vouloit alors soutenir, que ce n’etoit ni par zèle ni par atta-

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chement, que vous agissiez, mais uniquement par un effet de jalousie & par intérêt, éspérant, que, si vous réussissiez à culbuter le Comte de H---, vous succèderiez

à sa faveur & à son crédit. Le plus grand nombre vous supposoit pourtant alors des vues plus nobles & plus desintéressées. Il se peut très-bien, que les suites, qu’eut alors cette action, ayent fait sur vous une si forte impression, que vous n’osiez plus rien. Vous avez pourtant appris par l'évenement, que votre disgrace d’alors vous à été plus avantageuse que nuisible. N’allez donc pas croire, Monsieur, que tout cela est un pur effet du hazard; il y a une main puissante, qui a dirigé cette affaire. Je ne sais pas quelle idée vous avez de Dieu, si vous en croyez un, ou si vous n’admettez qu’un fatum stoicum. Il seroit assez inutile de disputer avec vous sur un article si essentiel. Le temps viendra, que par expérience vous serez convaincu, qu’il y a un Dieu, qui voit tout, qui connoit tout, qui dirige tout, qui recompense la vertu, & qui punit le crime, tôt ou tard.

Il ne s’agit pas à présent, Monsieur, de vous convertir; mais il s’agit de vous déterminer à faire votre devoir, qui n’est que celui, auquel chaque Payen

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au dessus du commun du peuple se croiroit obligé envers son Roi, sa Patrie, soi-même & ses parens, & auquel les loix payennes obligent tout sujet et & tout homme, qui veut passer pour avoir de l’honneur.

Vous voyez, Monsieur, de quelle maniére on traite votre Roi & votre Bienfaiteur. Vous voyez les infamies, qui se passent sous vos yeux, & auxquelles vous n’avez que trop de part. Vous voyez le Royaume sans-dessus-dessous. Il m’a paru quelquefois, que vous n’y etiés pas insensible. Rentrez-en-vous même, rappellez-vous à vous même & vous ne resterez pas long temps irrésolu. Vous-savez surement, s’il est vrai, (& il ne l’est que trop) que les jours de Sa Majesté sont en danger, & que peut-être on arrange tout pour attenter au moins à sa liberté. Il ne se peut que vous ne sachiez le jugement que le Public en porte, & que tôt-ou-tard on vous demandera la vie & la liberté de ce Prince, à vous, qui êtes autour de lui, qui voyez & qui savez tout. Tôt-ou-tard votre tête en répondra: sauvez-la, je vous en conjure par l’amitié, que j’ai pour vous & pour votre propre bien-être, & vous le pouvez. Vous voyez que ce Prince le sent, par l’envie, qu’il a de s’éloigner d’un endroit & d’une Societé, qui le

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maltraite, & par la répugnance qu’il a d’y retourner. Un jour il vous échappera, ou par quelque événement heureux il sera tiré de vos mains, où en serez-vous alors? Ne vautil pas mieux qu’en faisant votre devoir, vous sauviez votre tête, & que vous établissiez votre fortune d’une manière solide & glorieuse, que vous ne devrez alors qu’à votre zéle, à votre fidélité & à votre attachement pour le Roi, qui par reconnoissance vous comblera de biens & d’honneurs, & n’en fera jamais assez au gré du Public. Vous & votre fortune dépendez uniquement du caprice d’un misérable, qui tôt ou tard vous écrasera, quand il n’aura plus besoin de vous, dont il se sert à présent comme le singe du chat. Je crois même, qu’à moins de vouloir vous faire illusion, vous devez déjà avoir pu le remarquer plus d’une fois.

Quand le Roi viendra un jour en ville, faites en sorte, que Sa Majesté se retire au Château, & déterminez la à faire venir en sa présence un ou deux de ses fidèles Serviteurs pour l’assister de leurs conseils sur ce qu’Elle a à faire: malheureusement le nombre en est bien petit & peutêtre réduit à une ou deux personnes, car on a eu soin d’éloigner les meilleures têtes du Royaume. Vous trouverez bien cette personne, sans que je vous la nomme: la fermeté, la droiture & l’expérience sont les qualités aux

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quelles vous devez la reconnôitre. Je pourrois vous la nommer, mais je m’en abstiens pour ne point vous faire croire, que j’y ai quelque intérêt. Toujours je dois vous

dire, que ce ne doit pas être ni Mons.-- ni Mons.--

qui sont également detestés du Public. Votre tête dépend de ce conseil d’ami & de fidèle Serviteur du Roi, que je vous donne. Si vous ne le suivez pas & que vous manquiés de fidélité à votre Roi & à votre Bienfaiteur, vous pouvez être très-persuadé, qu’il y va de votre vie, de votre honneur, & de tout ce qu’un honnête homme a de plus cher, sans que l’on vous plaigne: Et au contraire si vous agissez, comme vous devez, en sauvant le Roi des mains sacriléges, entre lesquelles Sa Majesté est tombées, vous pouvez être assuré, qu’il n’y a sorte de grandeurs, de bonheur & de prospérité, qui ne vous attendent au gré de tous les fidéles sujets du Roi.

Vous pouvez peut-être vous résoudre à montrer cette lettre à votre Struensée pour lui marquer la fidélité que peut-être vous lui avez jurée au préjudice de celle, que vous devez à votre Roi & pour le déterminer à

accorder quelques nouvelles grâces au mari de la --

---- il le fera peut-être & vous trompera

pour vous tenir encore quelque temps en ses filets. Mais

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comptez que quand on aura fait un mauvais parti au Roi, vous serez malheureux & peut-être s’en prendra-t on à vous.

Je vous déclare, que vous répondrez sur votre tête de la personne du Roi, vous êtes toujours auprès de Sa Majesté, vous l’acompagnez par-tout, sa personne vous est confiée. Et afin que vous n’en prétendiez cause d’ignorance; je vous donne ma parole d’honneur qu’en ce cas la minute de cette lettre sera produite contre vous en temps & lieu, & afin que vous ne vous y trompiez pas, souvenez-vous du cachet, où sont les lettres initiales de mon nom, & qui sera aussi produit contre vous.

La vie & la santé du Roi, aussi bien que la prospérité de votre Patrie sont entre vos mains: conduisez vous, comme vous jugez pouvoir en répondre devant tous vos Concitoyens, je ne veux pas dire devant Dieu, car je ne sais quelle idée vous en avez: quoiqu’à en juger par un entretien, que nous avons eu ensemble, il y a quelque temps, dans votre chambre; une fois à Christiansbourg, & une autre fois à Hirschholm, vous n’en avez pas celle, que vous en devriez avoir.

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Vous voyez bien, que je ne crains pas de vous faire deviner, qui je suis: Toujours je puis vous assurer que si vous vous conduisez, comme je me le promets de votre naissance, vous verrez, que vous n’avez pas d’ami plus fidèle & plus attaché que moi.

Ce 8 de Juillet 1771.

Le 19 de Septembre 1771.

Eh bien! Monsieur, ma prédiction s’ést vérifiée, vous sentez déjà les effets de la conduite indigne, que vous avez tenue. Vous avez trahi votre Roi & vôtre Bienfaiteur, & on vous trahit à votre tour. On s'est servi de vous comme le singe se sert du chat. On vous a joué, à présent on se moque de vous, depuis que l’on vous a assujetti; on vous renverra au prémier jour avec mépris, & peut-être pour vous ôter le moyen de jaser, on vous enfermera pour le reste de vos jours, ou de façon ou d’autre on vous enverra dans l’autre monde. Digne récompense de vôtre trahison, de vôtre lâcheté & de vos bassesses. Je vous l’ai prédit, Monsieur, dans ma lettre du 8 de Juillet. L’amitié,

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que j’ai eue pour vous, & dont je vous ai donné des preuves indubitables, s'est beaucoup refroidie depuis: Vous n’en méritez pas la continuation, n’ayant pas été capable de suivre un bon conseil, ni de faire ce que vôtre honneur & votre devoir exigent de vous. Vous y avez préféré la vie infame que vous menez. Si alors vous eussiez suivi mon conseil, vous auriez mis le Roi en liberté. Vous auriez acquis une gloire immortelle en le sauvant. Vous auriez satisfait au devoir de bon sujet de fidéle Serviteur & d’honnête homme. Vous auriez mérité l’approbation non seulement de tous vos concitoyens sans exception, mais de l’Europe entière. Tout le monde auroit concouru à vous procurer des grâces, des récompenses & des distinctions, dignes de vôtre fidélité & proportionnées au service, que vous aviez rendu à votre Roi & à votre Patrie. Eh! certes, jamais récompense n’eut été mieux méritée. Au lieu, qu’aujour* d’hui on vous déteste, par tout le Royaume & par toute la terre, dont vous êtes devenu la fable & l'exécration. On avoit compté sur vôtre fidélité, votre attachement pour le Roi & votre devoir, on s’est trompé grossierement: aussi vous en punit-on, on vous diffame par tout le Royaume, & votre nom est en horreur: à la Cour on se moque de vous: on vous nourrit avec de la crême fouettée; on vous montre dans le

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lointain des grandeurs imaginaires; on vous amuse d’un vain titre de Comte, qui sera un monument éternel de votre infidélité, de votre faiblesse, de votre lâcheté & de vos infamies, pendant qu’un Struensée insulte au Roi, à la famille Royale, à tous les gens de bien, qui jamais ne l'ont offensé, mais seulement pour faire parade de sa toutepuissance, attire à soi toute l’autorité, se rend maître du gouvernement, des affaires, du Royaume, du Roi, qu’il deshonore aux yeux de toute la terre, dispose des finances en Souverain & contre tout ordre: Un misérable qui a osé se mettre de niveau avec son Souverain, en faisant donner, par l’ordre du Cabinet contresigné par lui même à sa signature, l’autorité, qui selon les loix fondamentales du Royaume n’est due qu’à celle du Roi. C’est vôtre lâcheté & votre conduite indigne qui l’ont aidé à monter si haut, vous seul auriez pu l’en empêcher: & par conséquent, ce sera vous, qui en repondrez. Il commet des crimes & des assassinats, mais c’est pour régner: vous au contraire, vous y contribuez par lâcheté & pour obéir aux volontés d’un Cromvel, qui, pour se sauver, sacrifiera mille fois la vie de votre Roi à ses vues obliques & à sa sureté: au lieu d’avertir Sa Majesté de tout ce que vous voyez & savez mieux que tout autre, car vous êtes assez clairvoyant sur vos propres intérêts momentanés, vous aidez ce Dietrich Schlagbeck à usurper l’autorité Royale, à tenir votre Souverain en tutele & à le prostituer aux yeux de ses sujets, pour effacer totalement ou au moins pour diminuer l’amour ineffaçable des sujets; & même au dire de tout le monde de le maltraiter.

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Vous qui pouvez empêcher tous ces malheurs & sauver le Roi des mains d’un miserable, & qui ne le faites pas, vous en êtes seul responsable & plus punissable que le traitre même, & comptez qu’aussi vrai qu’il y a un Dieu, votre tête en répondra tôt-ou-tard.

Vous voyez comme les affaires vont sans dessusdessous: on renverse tout, on bouleverse tout, on brouille tout avec une étourderie, qui n’a point d’exemple dans l’Histoire, on renvoie les plus honnêtes gens du Royaume, qui ont servi long temps & fidélement, sans reproche, & sans que l’envie ait osé mordre sur eux. On les chasse ignominieusement, dès qu’ils n’entrent point dans les projets destructeurs de ce miserable médecin ou que l’on craint leur droiture. On met à leurs places des misérables sans connoissance du Pays & de la situation des affaires, qui n’ont jamais étudié la partie du gouvernement dont ils se chargent: en un mot des gens; dont on ne s’est jamais douté qu’ils ayent acquis les premiers élémens de l’administration.

Je vous prie pour l’amour de Dieu ce que cela veut

dire de mettre à la tête des finances un --- un ---

Professeur de Mathematiques de Liegnitz, qui à peine a

su trouver le Dannemarc sur la Carte, un --- Et à

ces gens on donne 3000 Rthlr. par an, tandis qu’on laisse mourir de faim des gens qui ont servi fidèlement & sans reproche 40 à 50 ans & au delà: mais ces gens n’étoient pas capables de trahir leur Roi & leur Patrie, ni d’entrer dans des vues turbulentes & destructives. Pour-

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tant ces ignorans osent se charger d’un fardeau, qui en tout temps & principalement en ces temps malheureux ferait trembler l’homme de tête & d’expérience le plus courageux: mais, il est vrai: ce dernier connoit le danger, & n’ose ni ne veut exposer l’état ni sa réputation; au lieu que les autres n’ont rien à perdre, & n’entrevoyent pas les malheureuses suites de leur incapacité & de leur ignorance.

Vous voyez, Monsieur, que le Public ne l’ignore pas, qu’il le sent, & que les suites d’une si mauvaise administration sont capables de le porter à toutes les extrémités, & cela d’autant plus, qu’il l’annonce déjà publiquement & montre son mécontentement tout à découvert. Vous le savez, Monsieur & vous le cachez au Roi; vous qui seul approchez de Sa Majesté; car l’accès du Throne est fermé au reste des sujets: Vous seul pouvez instruire le Roi de la situation desespérée, où Sa Majesté se trouve, aussi bien que ses Royaumes, dont peut-être Elle n’est pas éloignée de perdre l’un par l’extrême indifférence, qu’on a & que l’on témoigne pour ces braves & fidéles sujets; de façon que si Sa Majesté continue à écouter ces mauvais conseils, tout sera bientôt perdu & sans ressource.

Vous voyez, Monsieur, comme nous sommes conduits au dehors & à quel point les affaires étrangéres s’embrouillent, par la conduite de la Cabale & la malhabileté de notre grand Ministre de Cabinet, qui ose s’en mêler, de sorte que le nom Danois est devenu un opprobre.

Vous voyez & vous savez comme son Excellence notre grand Premier-Ministre Monseigneur le Comte de Struensée dispose en souverain de nos finances, le sang le plus pur des pauvres sujets.

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Vous, Monsieur, vous êtes Danois, gentil-homme, & aimé du Roi, de qui vous & votre famille avez reçu tant de bienfaits, & vous vous taisez! n’en rougissez-vous pas, & n’êtes vous pas convaincu en honneur & en conscience, que le premier, qui sera la victime d’une telle conduite, ce sera vous, qui l’avez pu empêcher, ou redresser mille fois.

S’il y a quelque émeute ou rébellion, ce que le bon Dieu par sa miséricorde veuille détourner! à qui un peuple irrité s’en prendra-t-il? ne sera-ce pas à vous, qui êtes au moins aussi coupable que Struensée, de sorte que tôt ou tard vous risquez votre vie par une conduite si indigne d’un honnête homme.

Revenez-à vous & à votre devoir, je vous en conjure par les cendres de votre Pere, que vous n’avez pas connu, par les larmes de votre vertueuse mere, qui en verse peut-être d’avance sur votre cadavre & qui plus est, par celles, que peut-être un jour le Roi & la famille Royale & votre desolée patrie verseront & versent déjà.

Vous ne craignez pas de vous brouiller avec le Medecin Ministre pour des interêts particuliers, mais vous êtes assez lâche pour vous raccommoder avec lui pour 10000 Rthlr., qu’il vole au Roi & au peuple pour vous donner. Ne rougissez vous pas d’une telle bassesse? Craindriez vous donc plus cet homme, quand il s'agiroit du bien de votre Roi & de votre Patrie? vous qui alors auriez pour vous deux Royaumes sans exception, car les traîtres & les faquins, qui auroient une mauvaise cause à défendre, n’oseront pas prendre parti ni même faire semblant d’être contre vous, de peur d'exposer leurs têtes, qui leur branlent déjà sur les épaules.

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Vous, dis-je, vous sauveriez Votre Roi & Votre Patrie. Vous auriez & demanderiez même dès lors à juste titre des récompenses, que surement on ne vous feroit pas attendre & que l'on vous refuseroit encore moins, & moi, qui vous écris, je serois le prémier à me dépouiller & de bon coeur, pour vous combler de biens. Eh! avec quelle satisfaction & quel droit ne possederiez vous pas des biens, des distinctions & des honneurs, quand ce seroit de l’aveu & des voeux mêmes de vôtre Roi, de vôtre Patrie & de tous vos concitoyens. Réfléchissez-y, Monsieur, quoique je vous croye trop de sentimens, pour que les récompenses puissènt quelque chose sur vous.

Voici comme je pense que vous devriez vous y prendre. Vous êtes seul avec le Roi: vous allez, à ce que j’appris mercredi à Hirschholm, le soir faire un tour avec le Roi. Vous avez trouvé Sa Majésté très-indisposée contre la tutèle, sous laquelle on la tient. Profitez, Monsieur, d’un tel moment favorable, ou faites le naître. Vous avez assez d’esprit pour cela. Détaillez au long la malheureuse situation, ou Sa Majesté se trouve, combien peu de cette façon Elle est en état de remplir les devoirs, que Sa Dignité lui impose, & qu’après le pas, que le Roi a fait en signant l’ordre du Cabinet du 15 de Juillet, qui partage entre Sa Majesté & Struensée le Thrône & l’autorité Royale, Elle, la famille Royale, le Royaume, tous les sujets, tous les revenus, la vie & les biens d’un chacun sont à la discrétion de cet archigrand-Vizir, homme sans expérience, sans honneur, sans religion, sans foi, sans loi, qui est Maître de tout, & oserai je le dire, de la vie même du Roi. Vous savez, que les grands crimes rendent de plus grands crimes nécessaires & les font

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toujours craindre. Quand vous aurez expliqué tout cela: faites sentir à Sa Majesté le désespoir de tous les sujets, & à quoi le bouleversement de l’Etat & la misére sont capables de les porter, le danger auquel le Roi & l’Etat font exposés, si ce malheureux a le temps de tout renverser sans dessusdessous. Quand vous aurez touché le Coeur de Sa Majesté, & que vous Lui aurés fait concevoir la nécessité de conserver Sa Personne Royale, Sa famille & l’Etat; proposez-lui alors d’aller en droiture à Copenhague, où Elle sera en toute sureté, & se rendre au Château & que là Elle fasse venir en la présence deux ou trois personnes de distinction, qui savent donner un bon conseil selon les occurrences, afin que l’on ne fasse point d’écarts, qui puissent avoir des suites, dans un temps, ou le Public voudroit venger ses injures & ses haines sur les auteurs de ses malheurs & de sa misére. Je pourrois vous les nommer, mais le public les nommera sans moi. Ils doivent être des départemens, afinqu’ils conseillent avec connoissance de cause. Toujours ce

ne sera pas, le ---, ni Monsieur de ---, ni le

---, qui sont également détestés du public & qui par

conséquent gâteroient tout.

Pour l’amour de Dieu, de Votre Roi, de Votre Patrie, de votre famille & de vous même songez-y bien & ne différez pas trop long temps de venir au secours de votre malheureuse Patrie. Sauvez l’Etat, le Roi & votre tête.