Essay sur l'Etât Présent des Sciences, des Belles Lettres et des Beaux Arts dans le Danemarc et dans la Norvegue par un Anglois.

ESSAY

SUR

L’ETAT PRÉSENT

DES

SCIENCES,

DES

BELLES LETTRES,

ET DES

BEAUX ARTS

DANS

LE DANEMARC

ET DANS

LA NORVEGUE.

PAR

UN ANGLOIS.

A FRIEBOURG 1771.

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Ayant fait un féjour de quelques années dans le Danemarc & dans la Norvegue, j’ai pensé, que je n’offrirois pas un présent tout à fait inutile au Public, en publiant quelques remarques sur i’etât actuel des sciences, des lettres & des beaux arts, dans ces Royaumes; sujet presque inconnû chez la pluspart des nations de l’Europe.

En arrivant a Copenhague je fus etonné de trouver une assez grande ville, bien batie & remplie d'un peuple doux, humain & passablement instruit & intelligent;

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La, ou je ne m’etois attendu qu'à rencontrer des hommes a demi policés, à demi barbares. Car nous autres Anglois, nous avons assez communement d’etranges idées des autres peuples. Nous pensons être les feuls favoris du ciel, & croyons faire grace aux Francois & aux Italiens, en ne les traitant pas comme des ignorans. Les autres peuples de l’Europe, particulierement les François, nous rendent bien la pareille & nous traitent de Turc à More. En un mot, tous les peuples pensent bien d’eux mêmes & meprisent les autres. Le paisible Danois est le seul qui approuve tout, hormis son propre pais. Peut être que la forme de son gouvernement y contribuë pour quelque chose; êtant certain que la liberté eléve l'ame & que l’esclavage la deprime.

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Si nous sommes donc le premier peuple de l’univers il en faut attribuër la cause a la précieuse liberté, dont nous sommes en possession; mais pour cela nous devons nous garder de mepriser les nations, qui ont le malheur d’etre privées de ce trêsor inestimable.

La Nation Danoise est une de celles, qui est, où meprisée, où ignorée, non seulement de nous, mais de ses voisins même. La nation Françoise sur tout la meprise, & cela, comme il me semble, sans raison; étant toujours acceuillie chez cette nation du Nord comme son frere ainé, & mise au dessus des enfans du païs. Et comme la langue Françoise est devenüe à présent, sans que je sache pourquoi, la langue, presqu’universelle de l’Europe, j'ai resolu d’ecrire en cette langue, en-

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core que je sache bien, que je ne suis pas assez habile à écrire elegamment une langue qui m’est etrangére. Mais je m’y vois entrainé, je voudrois etre lû & entendû: & ecrivant dans ma langue maternelle, je courrois risque de ne trouver point de Iecteur, ou fort peu si j’excepte ceux de nôtre Isle fortunée: Les Danois surtout ne m’entendroient pas; & pourtant, c'est justement pour eux que j’ecris, pour leur donner la satisfaction de trouver enfin un étranger, qui leur rende justice.

Mais entrons en matiere. Il n’y a qu’une seule Université dans tout le royaume, qui est à Coppenhague. Elle à vingt six Professeurs, qui sont sort bien payés; & voila peut être la raison pourquoi ils ne font pas grande chose. Je ne demande

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pas d’eux, qu’ils ecrivent beaucoup de livres; Le monde êtant deja surchargé de cette denrée: mais il me semble qu'ils font peu de leçons publiques, qu'ils defendent trés rarement des theses, à quoi ils sont pourtant tenus par les loix de l'Universîté, & que l’institution qu’on reçoit d'eux dans les colleges, comme ils nomment ici leurs leçons, est trés seche & trés maigre. Ella à pourtant depuis peu perduë un trés digne Theologien, dans la personne de feu Mr. Rosenstand Goiske, qui joignoit la Philosophie à la Theologie, & dont les Etudians regrettent la perte Je ne peus pas aussi nier, qu’elle possede quelques Professeurs trés savans dans les personnes de Mr. Möllmann, dont la memoire est prodigieuse; Mr. Kall qui est trés versé dans les langues orientales, &

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qui à communiqué à notre docte Kennicott les variantes de quelques manuscripts Hebreux de la Bible, apportés par les savans, que Sa Majesté Danoise avoit envoyé en Arabie; Mr. Rotböll Friis qui possede de fort belles connoissances dans l’anatomie & dans la botanique; Mr. Kratzenstein, qui montre trés bien les expériences de Physique, & est aussi trés diligent à enseigner les Etudians; Mr. Cramer qui ecrit fort bien l’allemand tant en prose qu’en vers; Mr. Kofod qui est un savant trés aimable, trés diftinqué & trés modeste: Mr. Schlegel qui à ecrit passablement l’histoire des Rois de Dannemarc de la maison regnante d’Oldenbourg. Mais ces trois Messieurs, Cramer, Kratzenstein & Schlegel ne sont pas nés Danois, mais des Allemands, qui ont eté

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transplantés dans un terroir etranger pour eux. En general, les Danois aiment les étrangers jusqu’à la fureur, particulierement les allemands & les François; c’est pourquoi ils donnent pension à Mr. Klopstock, allemand de Nation, & tres grand Poëte dans sa langue.

Je les loüe s’ils les attirent pour apprendre d’eux des choses qu’ils ignorent, & qu’ils ne favoient pas auparavant: Mais je les blame, s’ils ont eux mêmes des gens capables de les instruire, & qui peutêtre, faute d’attention, vivent dans l’obscurité & dans la misere. Il faut pourtant distinguer; Les Grands, le Ministère aiment & estiment les étrangers, & pensent que la nation n’est bonne à rien: La nation au contraire, & ceux qui se nomment Patriotes, qui sont pourtant

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assez clair semés, haissent & detestent presque les etrangers. Il me semble pourtant, qu’ils ont encore besoin des etrangers, en plusieurs choses & que leur haine est quelques fois injuste & sans fondement On ne peut auffi blamer le gouvernement, de ce qu’il employé ceux du Holstein dans le Dannemarc, bien qu’Allemands; êtants les sujets du Roy de Danemarc aussi bien que les Danois & les Norvegiens. Mais le peuple ignore les distinctions, & tout homme qui parle une autre langue, que la sienne est étranger pour lui.

L’Université de Coppenhague à quatre Colleges. La Regence, où cent etudians ont leur logis. Le college du sameux Olaus Borrichius à seize etudians & soixante ecus pour chaqu’un. Le college de Valkendorph

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à seize etudians, à trente six ecus: & le college d’Elers seize etudians à quaranteecus.

Ces Colléges ont quelque ressemblances, avec nos colleges à Oxford & à Cambridge; mais ils sont en petit, ce que les nôtres sont en gros. Ils n’ont point de Bibliotheques, & les etudians n'y restent que quelques années, Outre cela il y à une maison qu’on nomme la communauté pour des etudians, qui n’y logent pas, mais qui touchent chacun par an trente six ecus, & qui viennent la quelques heures par jour, pour s’exercer dans la langue latine. En general, il faut avouër, que les Danois, qui ont etudié, comme ils le nomment, parlent, fort bien la langue latine, beaucoup mieux que chez nous ceux, que nous nommons Scholars. La Biblioteque de l'Université est fur la vou-

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te de l'eglife de la Ste. Trinité & contient environ vingt mille volumes. Elle n’est pas bien pourvuë de livres rares & de Manuscrits. Cependant elle possede un trêsor unique; ce sont les manuscrits Islandois du fameux Arnas Magnaeus, dont on pourroit bien souhaiter l’impression, parcequ'ils donneroient sans donte, non seulement un grand jour aux antiquitez du païs, mais encore à celles des nations voisines. Ce Mr. Magnaeus à légué de l’argent pour mettre ces manuscrits au net, & pour les imprimer un jour: mais on ne fait ni l'un, ni l’autre. On m'a même assuré, que depuis quelque tems beaucoup de ces manuscrits ne se trouvent plus, sans qu'on sache ce qu’ils sont devenus. On voit peu d’Etudians & de savans frequenter cette Biblioteque, qui est

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presque sans utilité pour le public. Tout tenant la Bibliotéque est la tour ronde, ainsi nommée de sa figure, qui est un batiment assez curieux. Elle est destinée aux observations astronomiques, mais c’est dommage qu’on y trouve peu d’Instruments & encore moins d’observateurs. Les Danois ne sauroient nier, qu’ils sont bien dechus de leur ancienne gloire en astronomie, & que les tems des Ticho Brahés, des Longomontanus & des Olaus Römers sont passés. Nean-moins faut il avoiier, qu’on fait d’assez bons instrumens de Mathematique à Coppenhague.

La Biblioteque du Roy devroit aussi etre publique, & elle le meriteroit d’autant plus, êtant composée, à ce qu’on dit de plus de cent mille volumes, parmi lesquels on trouve un nombre assez conside-

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rable de beaux manuscrits d’Auteurs Grecs & Latins, achetés à la vente des livres de Mrs. Roftgaard & Daneskiold. Mais par malheur le Bibliotecaire est deja avancé en age, & on ne fait, par un principe d’epargne, pas assez de depense, pour avoir des Sousbibliotecaires, des clercs & d’autres officiers necessaires pour tenir en ordre & rendre utile une grande Biblioteque. On à même negligé, depuis plusieurs années, d’y mettre les livres nouvellement imprimés.

Mr. Thott, Ministre du conseil du Roy à une Biblioteque encore plus nombreuse, dans laquelle on trouve rassemblé avec beaucoup de soin, les livres imprimés au quinzieme & au commencement du seizième siecle, avec quelques manuscrits. J’ai vu la une Bible trés bien peinte & une tra-

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duction Françoise des metamorphofes d’Ovide admirablement bien peinte. Quel dommage, qu’un tel tresor reste aussi enseveli & sans utilité pour le public, faute de Bibliotecaire & de Catalogue. Il est vrai que Mr. de Thott est lui même tréssavant homme, & dont la memoire tient du prodige. Il est aussi trés poli, mais ses grandes charges l’empechent de rendre sa Biblioteque aussi utile aux savants, qu’il le souhaiteroit lui même, comme elles imposent la necessité aux savans de se passer de ce tresor plûtôt, que d’incommoder trop son possesseur. Mr. de Bernstorff, qui est du Conseil, Mr. Sevel, Suhm, Luxdorph, Harboe, Klevenfelt, Morell, Temler, Kofod, Lorch, Langebeck, Hielmstierne posledent aussi de belles collections de livres; les deux derniers sur tout, ont

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beaucoup de livres rares Danois, qui fourniroient à qui voudroit ecrire l’histoire litteraire du Danemarc une trés riche moisson, car les Danois n’ont pas non plus une histoire littéraire de leur païs.

Mrs. Thott & Suhm ont de grandes Collections de Medailles antiques & modernes & du moyen age, Mr. Temler une de medailles antiques. Mrs. Holstein, Bernstorf, Hielmstierne en ont de Medailles Danoises. Le Comte de Holstein possede à Lethrabourg à cinq miles de Coppenhague une Bibliothèque de seize mille volumes, qui, faute de soin, s’approche de sa perte.

A Altona dans le Holftein il y à un college Academique & des Professeurs, Mais c’est peu de chose. Mr. Dusch passe pourtant pour un des beaux Esprits allemands, & l’on veut qu’il soit allez bon poëte.

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A Soroe il y a une Academie pour la noblesse du païs, qui aime pourtant mieux faire ses etudes aux Academies de Gôttingue & de Leipsic, à cause des frais qu’il faut faire à Soroe, qui montent bien à mille ecus par an, somme exorbitante pour un pauvre païs; mais il est bien possible que ce ne soit pas la seule raison suffisante.

Les Professeurs sont au nombre de cinq, & les Academiciens de douze: belle Proportion! Mr. Erichsen & Schöning sont des savans trés respectables & trés versés dans les Antiquités & la langue du païs. Mr. Pontoppidan possede la langue Hebraique dans toute son étendue.

On voit dans l’Eglife le tombeau du fameux Baron Holberg, qu’on peut à bon droit nommer le fondateur de l'Academie,

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y ayant légué plus de cent mille ecus. Mais qu’on ne s’attende pas d’y voir quelque monument; quelques marques de reconnoissance pour sa liberalité. Non, il est enterré comme un homme du commun. Point de distinction. Tant on oublie aisément les bien faits reçus. Un Ecrivain François dit de ce Baron, que la litterature Danoise fut née & mourut avec lui. On pourroit bien faire voir, que c'est là un préjugé d’un etranger, sauf le respect, dû aux merites de Holberg, qui sans doute sont grandes envers sa nation. Quelques ouvrages de ce savant, ayants eté traduit, tant en François, qu’en Allemand & en nòtre langue même, il etoit presque le seul, qui fut connu hors de sa patrie. Les savans Danois avant lui ont presque tous ecrit en Latin & cette langue à presque

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cessé d'etre entendüe des savans de l’Europe: & à présent ils ecrivent dans la langue du païs, & leurs ecrits n’ont pas le bonheur d’etre traduits: Voila la source de ces injustes assertions, qui blament à tort le savoir, des Danois.

A Odensée dans la Fionie, il y a aussi un college où des Professeurs enseignent; mais c’est peu de chose. Une Demoiselle Brahe à donné là au public une collection de vieux livres Danois, parmi lesquels il se trouve de fort rares, mais personne ne s’en soucie, & ils se gatent la. A Herlufsholm, charmant endroit de la Séelande, on trouve une ecole equestre, qui à ses Regens & un lecteur, mais qui est mal entretenüe. En general, les ecoles du Danemarc sont en assez mauvais etât. On y apprend passablement bien le Latin, un

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peu du Grec, & de la philosophie, mais au reste presque rien. On n’y a pas même l'idée des ecoles reales, comme on les nomme en Allemagne: on ne se soucie pas des ecoles de commerce, ou de manufactures; & on n'à pas tant de tort, qu’on pourroit penser, car il n’y à ni commerce, ni manufactures dans ce Royaume & on se donne tous les mouvemens possibles, pour achever à detruire le peu qui reste encore du premier.

Les ecoles de Navigation à Coppenhague sont pourtant trés-bonnes, à cause de la Flotte du Roy. Les compagnies des Cadets marins & de l’armée sont aussi bonnes dans leur institution, mais à présent fort negligées, particulierement les premieres. On à encore par ci, par la des ecoles pour apprendre la Langue Françoise, que les

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Danois aiment mieux à jargonner, qu’à parler bien leur langue. Mais je n’ai jamais entendu parler d’un institut, où l’on pourroit apprendre l’anglois.

La Norvegue est présque entierement depourviie des moyens de s’éclaircir. Il me semble que les Danois par une basse jalousie, & par une crainte malfondée, laissent croupir ce Royaume dans l’ignorance. On n’y trouve pas une seule Academie, ni Université: point de Bibliotéque publique. Les Norvegiens qui veulent s’appliquer aux études, sont obligés de faire le voyage de Coppenhague. Venus là, leur ambition se borne à devenir prêtres, & ayants atteint ce but là, ils s’en retournent dans leur païs, oublier le peu, qu’ils ont appris; où bien ils etudient pour eux mémes, privés de tout encouragement & de

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toute émulation. Considerant tout cela, je m’étonne, qu’on trouve encore quelques Savants dans ce païs. L’Eveque Nannestadt à Christiania passe pour habile Theologien & pour très verte dans la lecture des peres, & dans la langue latine. Sa bibliotéque contient, à ce qu’on dit, trente mille volumes, L’Eveque Gunnerus à Drontheim à une connoissance trés étendüe de l’histoire naturelle, & à érigé une Société de gens des lettres, qui embrasse toutes les sciences. A Bergue il y à un seminaire pour les Mathématiques, & pour apprendre la langue Françoise, apparemment pour former des gens, qui puissent à leur tour enseigner cette langue, dont le ministére de Danemarc est infatüé. Dans les quatre villes de la Norvégue il y à des Imprimeries, comme aussi dans la pluspart des villes con-

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siderables du Danemarc; mais on n’y trouve pas les types fines de nos Baskervilles. Les ecoles de commerce sont aussi inconnuës dans le Danemarc; mais on y fait pourtant beaucoup plus de commerce, graces aux produits naturels du païs; on y trouve aussi des mines de fer, de cuivre de meme d’argent, & on à des hommes assez entendus dans ces matieres, bien qu’ils n’ecrivent rien & qu’ils ont fort peu de colletions de choses naturelles, A Coppenhague on y va d’une autre maniéré, on n’y entend rien de l’histoire naturelle, mais on y fait d’amples collections de minéraux, de coquilles etc. J’excepte pourtant quelques personnes, qui ont des connoissances trés etenduës dans ces matieres. A Charlottenbourg, chateau Royal, il y à une collection de minéraux de de pierres, dont le Professeur Ascanius est le gardien, qui y doit faire des lectures publiques. Mr. le comte de Moltke, Mi-

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nistre du Conseil, à une trés grande & trés riche collection de choses naturelles, particulierement de coquilles. Le Cabinet du Roy, qu’on nomme fort improprement cabinet des choses artificielles, parcequ'il y à aussi de ces choses la. On y trouve quelques belles pieces, mais rien en ordre & tout y est sans systeme. Mrs. Horrebow, Spengler, Suhm, Kölle, Tiby, von Hemer & plusieurs autres ont aussi des collections. Dans la nouvelle ville nommée Fridericstatt, il y à un institut de Botanique qui sera trés beau, quand il aura atteint sa perfection. Mr. Oeder Allemand du Marquisat d’Anspac y fait des lectures publiques. C'est un homme trés habile & qui à la Botanique joint des lumieres trés etenduës en ce qui concerne l'etat interieur du pays.

L’université à aussi une collection de mineraux dont le Professeur Brynniche, homme trés savant, est le gardien.

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On à aussi une Societé Royale, des Sciences à Coppenhague, établie par le Roy Chrétien VI. Elle donne tous les quatre ou cinq ans un volume en langue du païs, qui contient d’assez bonnes pieces pour l’histoire & les langues: mais ces pieces sont inconnuës au reste de l’Europe à cause de la langue dans la quelle elles sont ecrites.

On doit à cette Societé le beau voyage de Norden en Egypte & elle a fait imprimer à ses frais depuis peu une defcription de la Finmarche Danoise, en latin & en Danois, ouvrage assez mauvais, dont, les estampes sont detestables. Les Monumens de Fridensbourg sont aussi malfaits: mais il ne faut pour cela avoir mauvaise opinion des monumens eux memes, la pluspart etants assez bien faits par Mr. Wiedeveît, Danois, Sculpteur du Roy. Le jardin de Friedensbourg est une des belles choses à voir dans le Da-

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nemarc; on y voit l'art joint à la nature. C'est dommage qu'il ne sera pas achevé, l’ouvrage étant interrompu, par la mort du feu Roy Frederic V. Ce Roy s’est aussi donné beaucoup de mouvemens pour introduire la peinture, l’architecture la sculpture dans son pais: mais la pauvreté fait obstacle à tout. Je ne nierai pourtant pas qu’on n’ait fait quelque progrès, Mrs. Als & Pilo reussissent assez bien à faire des portraits: Le dernier est Suedois. Mr. Hoyer reussit assez bien dans la mignature. Mr. Wiedevelt est excellent sculpteur, mais il n'à rien autre chose à faire que des tombeaux: La nation ayant la manie de vouloir être plûtôt magnifiquement ensevelie, que magnifiquement logée. Le feu Roy à fait voyager en Italie à ses dépens, tous ses Artistes, La statue equestre de ce Roy sera une belle piece. Mr. Sally, François de Nation y à gagné beaucoup

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de reputation, & ne s’est pas appauvri à ce jeu la. Si l'on vouloit faire eriger une statue à chaque Roy de la maison regnante, il faudroit que le Roy put doubler ses revenus.

Il y à trois Spectacles à Coppenhague. La Comedie Danoise, dont les acteurs & les actrices sont assez mauvais. Un Opera Italien, qui est passable & un theatre François qui est detestable, du dernier detestable. Neanmoins la Cour se plait d’avoir la Comedie dans une langue si cherie. Les Danois n’ont point d’autres pieces originales que celles du Baron Holberg, qui sont assez vives & comiques, mais un peu grossieres & où les sentiments & les intrigues sont assiez mal tournées. On à pourtant quelques autres d’une Demoiselle Biehl, qui sont assez elegantes, & contiennent des caracteres heureusement tournés, mais elles n’ont pas le feu & la vivacité comique. Mais

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on ne réprésente presque jamais les co medies de cette fille, aussi languit elle dans l'obscurité, tandis qu’on prise les etrangers. Voila la maniere de penser de la Cour de Danemarc & des Grands, à un desquels j’ai même oui dire, que la langue Danoise etoit grossiere & ne seroit jamais ni bonne, ni belle. Que les Danois etoient stupides & sans gout. Faut il, apres cela, s’étonner, que les Danois ne sont pas une brillante figure dans le monde. Tandis qu’on donne des pensions à des savans etrangers, qui sont habitués dans le pais; tandis qu’on fait des présens à d’autres, hors du païs: on fait languir les savans du Royaume, on les ignore, ou les meprise, on ne lit pas leurs ouvrages. Ce qui peut excuser en quelque maniéré les Grands, c’est qu’ils n’entendent pas la langue du païs. On à laissé mourir dans l’indigence, ou du moins, sans faire cas de leur merites.

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Mr. Tullin le plus grand poëte, que le Danemarc ait jamais eu: Treschow Theologien trés profond, Mademoiselle Lange, fille savante dans les langues. On laisse aujourd’hui croupir dans l'obscurité, Mr. Lodde, Mademoiselle Biehl. Pour exuser pourtant les Danois, il suffit; que ce cas arrive chez toutes les nations, même parmi nous, Shakespear & Milton en sont des temoins.

Deja avant Holberg on tacha à cultiver la langue; mais avec des progrés plus lents. C’est lui qui à donné le ton, & depuis lui, on à eu des poëtes & des ecrivains, qui, quoique pas si seconds, le surpassent de loin. Les principeaux en sont: Mr, Guldberg, bon philosophe & Theologien j qui à commencé à donner une excellente histoire universelle. Mr. Schöning, qui est trés versé dans l'histoire ancienne du païs; Mr. Jacobi bon poëte

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& orateur, Mr. Vogelius orateur: Mr. Bull, grand poëte: Mr. Abrahamson, qui, bien qu’Allemand, reüssit sont bien dans la poësie Danoise: Mr. Stenersen trés grand Poëte lyrique: Mr. Carstens, qui est trés versé dans l’histoire moyenne du pais & Critique éclairé dans les langues: Luxdorph grand Poëte & Critique Latin: Kofod trés savant Jurisconsulte & trés versé dans les langues anciennes du pais: Mr. Erichsen aussi bien habile dans ces langues: Mr. Bredal, assez bon poëte: Mr. Suhm, qui connoit à fond l'histoire ancienne de sa patrie & du, Nord: Mr. Langebeck passe pour ecrire la langue avec la plus grande pureté, & pour etre leur plus grand Historien: son habileté dans la diplomatique n’est pas commune. Mr. Cappel Allemand, est trés habile Chymiste, Dans les Provinces & les petites villes on trouve aussi quelques savans & curieux. Mr. Baden Conrecteur à Helseneur, ecrit

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un journal litteraire, qui eft assez bon, mais un peu trop caustique. Mr. Scherevien en Fionie joint à beaucoup de connoissances une politesse trés grande & est possesseur d’une bibliotéque fort nombreuse. Mr. Worm Recteur à Aarhus ecrit une histoire des savans Danois en forme de Dictionaire. L’Eveque Bloch à Riben est assez grand prédicateur. Mr. von Hespen à Schleswig se connoit bien en medailles, dont il à une belle fuite. Mr. Moiler Recteur à Flensbourg, à beaucoup de monde & est trés versé dans l’histoire du païs de Schleswig. Mr. Cilano Professeur à Altona, est possesseur d’une bibliotéque nombreuse, choisie & riche en livres rares. Le ministre, Mr. Mossin, à Bergue est bon Theologien.

Un grand obstacle à l’avancement des lettres dans ces deux Royaumes est la cherté de leurs imprimeries & de leur libraires, ce qui joint à la pauvreté fait

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un obstacle presque invincible. Mais le plus grand obstacle consiste pourtant, comme j’ai deja dit, dans la repugnance & le mepris, que les grands du Royaume, comme étrangers, ont pour la Nation & la langue, qui va si loin, que l’exercice militaire même, sans autre exemple dans tout le reste de l’Europe, se fait dans une langue êtrangere, c’est à dire l’Allemande. Les pauvres Normans mêmes, qui n’ont jamais entendu que la leur propre, apprennent l’allemand à Copenhague à force de coups.