BREV TIL: Sergej Josifovic Karcevskij FRA: Louis Hjelmslev (1931-08-15)

Bl5 Blegdarasvej. Copenhague 0. le aoåt 1^31

Monsieur et cher confrere,

J e ra’eropreese de vons dire tous roes remere i events de votre beau travail "Sur in phonologic de la phrase", due j’ai lu attentivemønt et avec un vif intérét. Il va do sol qu’il ra’ oompera encore, et qu’il ae faut n'diter plus pro fonde ment vos resul, tat s et vos vuøs, d’autant plus que nur plusieurr. points assentiels vous touches a des problemes fondaraentaux qui ra’occupent depuis long- temps. C*e: l oourquoi .3 e ;• is fort tenté de vous écrire des maintenant quelques remarques que ra’a déja suggérées 1:. premiere lecture ae votre wémoire; il faut c ep end an t vous dire que je suis pour le moment en villégiaiure et sen/:: nocks possible å la li tiara ture scient i i’ique; c’est sous c et te reserve, et en tenant oorapte du caractore pro- vi soire de .-.es renurques, qu’il faut entendre ce que je vals vons dire.

les resultats que vous apportez iei, avec tant d’é- ciat et tant de courage, au domaine si difficile et si peu défriché de 1*intonation de la phrase, m*interessent vivement, et j ’ en mesure toute 1’importance pour la lin- guiatique générale. Je connais déja les recherches de M. Pe&kovskij dans le m&me domain«, sur lesquelies vous vous fonde2 en partie; c*est avant tout tres important que vous a/ex réussi a fonder la théorie sur les oases du langage en general. Je ne songe done .* contester auenn de vos resul- tats; ils sont, a ce qu’il me serable, incontestables. te qxiy me retiendra, c’est plutfit le systerae théorique sur le- quel vous les avez poses. Il faut d’aoord vcus dire qu’il y a maint point que\je crois n:avoir pas encore compris a fond, et je serai heureux de pouvoir vous interroger sur cos points lors de notre entre vue a Geneve. 'la i s il faut. vous dire åttssi qu’il y a beaucoup de points ou je suis i.n- timement d’accord aver/ vous.

Ainsi, vous avez seion mol parfaiteraent raison en ce que vous dites du phoneme et do se^propriétes, p. 1 bo et 194. C’est une partie de votre tnéorie qui me retient, par- ce que ja prepare pour le moment un petit mémoire sur la nature concrete du phoneme. Par la nature concrete du pho-

vec vous, ceux des propriétés du pho-

neme 1e comprends, p»ev ¥wv*-"» nerae qui lul permetnte se realiser dans la enaine parlee, tout ce qui perreet au phoneme virtuel de s actualiser dans la parole. C est seion vous le ton,

l’intensité et la du-

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rée. Il faut seion raoi ajouter - et si vons ne l’avez pas fait, c’est évidemment par une simplification voulue - les faits de eatastase et de metastase. I)'autre part j e erois qu1 il faut une reserve pour la durée.

Je montrerai dans mon article que la catastase et la rnétas- tase sent des propriétés d’ordre psyeho-linguistique, et non, co:(ime on l’a souvent soutenu, et malgré la théorie de M. Uram- mont, d’ ordre physico-phoaétique. Cela donnora, j o croin, un appui interessant a votre vue sur le phoneme en tant qu’unité non-phy- slque.

la durée, d*autre part, peut joner un rfile comme caractere concret du phoneme, c1est incontestable. Le timbre le peut aussi par ailleurs, puisq.no vons le monlrea vous-meue pour le russe. Mais la durée .joue, au meae litre ijjqe le timbre, Claris beaueoup de langues un rCle essentiel pour uifi'éreneier les phonemes virtu- els. C’est le cas ordinaire des anciennes langues indo-européennes, pour ne citer yue eet. exempie. Je sals bien que sur ce point le russe differe de ces langues du tout au tout. Mais je suis persua- dé que, du point de vue general (ce que j *ai app«xé dans le systeme ab strait) la durée n’appartient pas au roerne ordre que le ton et l’intensité, mais va plutfit de pair avec le timbre pour constituer la nature abstraite du phoneme, J*ai 1 ’ impression qu1 a la page 20b de votre raéraoire vous aves senti vous-rafcroe cette difficulty.

Pour 1’étude des sens de la lnngue il faut, seion mol let je développerai cette idé e dans mon Ess&l sur 1’analyse linguis- tique), di stinguer røfl toplans fonciérement différents: 1° la pho- nologie, discipline extra-lingu istique qui étudie le oaractere phy- si que des sons; elle se divise enjoutre en une partie articulatoire et une partie auditive; 2° latnhbnématlgue. e’est-a-dire la théerie des phonemes en tant que données linguistxques; la phcnéraatique se divise aussi en deux disciplines: a) la théorie des phonemes (duns le sens ordinaire de oe mot); b) la théorie des •ghonies^. e’est-å- dire des chaines de phoneme* expriroant der, idées; par example latin -us est une phonie de morpheme, åfuln- est une phonie de semanteme, dominus est une phonie de mot. Uu lieu cle phonies j’ai parle dans mes Principøs de g rurum. gen. p. 100 de phonemes, ce qui entratne une confusion, le terme de phonie m’a été propose par M. A. Sommer- felt.)

La terrainolegie est sur oe point fatale. F. de Saussure a utilise le terme de phonologie pour designer tous ces plans a la fois. Je vois que M. Iroubetfckcy 1’ emploie ^uniquement comme i len- tique å ce que je voudrais appeler la phonématique. J’ai l’impres- sien que vous 1’utilises de la ra&ne faqon arabiguS que F. de Snus- sure. P. 188 sv. vous parlez évidemment de ce que je voudrais ap- peler la théorie des phonies. Une "phonologxe qui -se rapporte au pl«an phonologique" (ce qui n’est pas tout a fait clair) c est tou bonneraent le systeme de phonemes; la "phonologie’' qui s o rapporte au plans lexicologique, syntaxique, morphologique, c’est le sysurne de phonies. Je crois que l’on gagnera par cette distinetxon. Lt la clarté terainoxogique est la condition preolable ae t-oute té intiMkUW. J e ser.i s fort enrlln a conteeter ee 4ue vous dites

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p. 193: tfLe vocul.israe du mot ruase depend er, large me sure de 1»organisati on du mot au point Ae vue de 1’intensité". En uti- lisant aa terminologie, eette idée est juste du point de vue pho- nologxque, måls fnutive du point de vue phonérsatique. Voms mon- trez vous-ra&we que malgré les affaiblissements des voyelles qui sont la rancjon de 1*accent dfIntensity, les sujets parlants re- connaissent partout un m&me phoneme. C’est dire, si je vois juste, q.ue les diverges ’’positions” des voyelles lp. 1?6) ne sont que des varietés physiques qui sont sans valeur psycho-linguistique. Il est vrai que ces varietés physiques, extra-lingu.istiq.ues, ont leurs lois a elles; elles n'en sont pas raoins pour cela extérieu- res au system© de lu langae. Vous pnrlez du mot ”initial” par op- position & l’aspect phonique: c’est la phonie de raot par ©pposi- tion å la phonologie .

Je do at s fortement que vous nyez r*»ison de dire qu'en russo le rflle de 1’intensity est que seeondaire par rapport au timbre. Vous atrez raison, bien eutendu, de dire qu'en russe - comme en heaucoup d'autres langues, le danois par exempie - il y a quatre ou cinq degree d’intensité; mais cein n’est vrai que du point de vue phouologique, physique; en .fait le physicien peut distinguer autant de nuances qu’il veut, et que ses appareils lui permettemt d’enregistrer. Du point de vue phonéraatique par contre, il y a dans presque toutes les langues a accent d'intensité un noranre trais restraint de ctegrés d’intensité: trois seront d’ordinaire le maxi- mum, deux seront souvent le nomore normal. A phonéraatiqueraent par- ler, il y a sans flucun donte en rus se une opposition ’’accent: at onie”. Ici encore il est de rigucnr de distinguer le cfité physique et le e8té linguistique du problfcme. Comme vous l’aurez vu de mor, livre ''Principes de gramm. gen.”, je jfriens heaucoup a delimiter clairement le ohamp de la linguia- tique. Il y a surtout deux pieges dans leequals le iinguiste tombe volontiers: il y a d'une part la physique extra-ixnguIstique, c*est- å-dire la phonologic pure, qui ne connatt que son propre ordro dif- férent de i’ordre du sy starae linguistique, et il y a d* autre part la psychologic et la logique extra- linguist i qt; es, qui sont du res- sort Au philosophe et non du linguists,, et qui s'opponent également de par laur nature méme å 1’ordre proprement linguistique. Je pour- rais discuter longuement avec vous lorsque vous^dites, a plusieurs reprises dans les travaux que vous ia’avez envoyés, que le signe linguistique est constitué par la fusion intime de 1’aspect concep- tuel et de l’aspect phonique. Tout est bien si I’on ccrnprend et u- tilise correctement fl.es teriaes. Tout devient dangereux et c/iSme fatal si par l’aspect eoneeptuel on encend les idées pures, les concepts, et si par 1* aspect phonique on c o rap rend loomrae on le f&it d’ordi- naire depuis le premier ouvrage de M, Séchehayeles sons purs sans égard iraiuédiat å leur valeur linguistique. Je ne dis pas que vous eommettiez ces confusions; mais il fa t dire que vous induisez sou- vent le lecteur & les commettre.

D’une faqcn générale la terminologie est un point sur le^uel il faut concentrer 1’ af vent ion, non pour fair« o.eu correction$p^an tesques, mais pour éviter des confusions réelles. "Phrase-, Aem^.e

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de phrase", "proposition", ee sont lå autanc de termes anciens auxquels vons donriez un sens tout å fait nouveau, Est-oe hen- reux? Je suis a1accord aveo vous dans la réalité, du raoins en principe. Huls on pent voir par le livre recent de tø. Hies que l'on possede dé.iå - si .le me rappelle bien - plus de deux cents significations differ ente s des naots "phraseB et "proposition"; vous y ajouiez encore une pour onacun de ces termes, et lorsque vous définissez la "phrase" comme "une unite de communication ac- tualisée", il ne faut pas oublier cue c'est lå justement la mérce chose que M. Svedelius iL* analyse du langage aopliquse a la. l&ngue franpaise) s. appel4* proposition? Peot-fctre vaudrait-ii mieux forger des termes nouveaux. Je voudrais seulenent vous mettre en garde sur c© point. Et I;, phrase duns vou e uens flu mot, qu'est-ce? TTne roalité linguistique, c’est indubitable, tøais c'est une réalité linguis- tique de natur© extraordinaire, Elle pppartient peut-etre å la parole et non å la langue. Elle appartient peut-efcre a la psycho- logic et non å la linguist Jtqr.e. Cé sent lå der points sur lesfuals je ne suis pas parfaitement olair. F. de Saussure a soutenu quo la pnrase reieve de la parole. C’est 'ane idéo yul ruf n too jours inquiété. Ce que vous dites å la p. 191 me sembie heureux, car vous apportez peut-ltre ici une correction utile å lu. théorie- de F. de Saussure. On peut prétendre des maintenant que la pnrase ne reieve paj de la paroue, c’est-u- dire 1’execution de la langue, main elle reieve de la langue aetu- alisée (du langage actualisé), ce qui est probåblement tout autre chose. Vos resul tats menes d&montrent que la phrase possede une structure fixe dirigée par des lois, et il sembie s’ensuivre qo’elle tombe sous le regime de la l&ngue. D*autre part, si partout il y a difference fonciere entre les categories linguistiques (par example grammatical es) et les categories psychologiques et logiques, il sembie, å en juger par vos resultats p. 192, que dans le domains de la phrase il y a, pour la premiere fois dans le systemø, coincidence entre les ca- tégories linguistiques et les categories psyc..ologiquer ou logiques. Il est fort interessant que les categories " question:réponse", tel- les qu’elles se révelent dans la structure de la pnrase, ne coin- cident millement avec les categories "question:réponse" dans le plan proprement linguistique, c'est-å-dire en grammaire. ttfaand je dis: Il vlent? „ ce syntagme n'a pas la forne grammaticale d’une question (il n’entre pas dans j.h categoric grammatical® de la qves- tion) »ais la phrase est néanmoins interrogative. Ce sont ces faits qui pourraient m'induire å penser que 3.a pnrase est un fait extra- linguistique. Je n*ai pas encore envisage les consequences que l1on pourrait éventuellement en tirer. Je me borne ici å oes quølques remarques inconérents, qui sont plutOt des doutes et des questions que de veritables oo.iec- tions. Je me réjouis beaueoup d’avance de pouvoir discuter plus 1©nguement avec vous å Genove. Reoevez, cher Monsieur, 1'assurance de mes sentiments tres dévoués.