BREV TIL: Louis Hjelmslev FRA: André Martinet (1946-10-29)

11, rue Monsieur, Paris Vile

Paris, le 29 octobre 1946

Mon cher Hjelmslev, Excusez moi de ne vous avoir pas répondu plus tSt. Je suis rentro d *Amerique il y a quelques jours seulement et a New York mon temps a été terriblement pris, par IALA d’abord ou mes fonc- tions de directeur scientifique ne sont pas une sinecure, et du fait de mes efforts pour ne pas perdre contact avec la linguisti- que proprement dite. Je suis heureux que mon article du BSL vous ait dans I'en- semble satisfait. En ce cui concerne l’influence de lax phonologie sur vos idées et aprés fCes precisions que vous me fournissez, je serais tents de dire que le battage phonologique a, par reaction, håte l’éclosion de vos idées. La chose me pqrait nette lorsque je relis vos Principes de grammaire générale. Je reste persuade que le gr^nd mérite de la phonologie praguoise a été de forcer tous les linguistes désireux de rester au courant a prendre position. Pour rna part, j*ai pris position du dedans, vous du dehors. J'apré- cie pleinement la pensée de Sapir et celle de Jones/et je suis per- suadé que Baudoin de Courtenay et son école étaient au moins aussi originaux que Troubetzkoy et les autres. Mais sans ces derniers je suis sftr qu’il n’y aurait pas de par le roonde beau coup de lin- guistes qui attend*raient avec impatience la parution de votre glossématique. Le tam-tam a parfois du bon. Loin de moi d’ailleurs l’idée que les travaux proprement phonologiques n’ont pas de va- leur scientifique. Je ne suis pqs si modeste. Je reste phonolcgue parce que mon esprit est ainsi fait que votrc faqon de traiter de l’identite ne ine satisfait pas theoriquement et que, dans la pra- tique, vous le réconn^issez vous-méme, les gens fonderont toujours leurs recherche^ sur la substance phonique. Su_Wle plan du conte- nu, le recours a la substance me parait dangereux et superflu aux stades initiaux. Ce que vous me dites de l,homonymie correspond ex- actement a mon enseignement. Je suis done en théfrie d’accord avec vous sur bien des points. Mais je sais par experience que les gens les plus cuverts ^Benveniste, par ex.) ne marchent pas et ne marche- rent jamais compléternent. Ai revu avec plaisir Svatya et Roman Jakobson. Ce dernier qui voit partout des oppositions binairés, rae trouve un peu trop trou- betzkoyen en matiére phonologique (et pourtant. cf. BSL comptes-ren- dus) et hjelmslévien sur le plan du contenu, ce qui est tout de méme inexact. Transraettez, je vous prie, mes amities å votre femme, et bien cordialeraent a vous.