Histoire de la derniere révolution arrivée en Danemark, écrite de la propre main de Sa Majesté la Reine Caroline Mathilde pendant sa détention au Chåteau de Kroonenbourg; Envoyée de peus peu au Comte de ***. Copié sur l'Original, traduite de l'Anglois.

HISTOIRE

de la derniere révolution arrivée en DANEMARK,

écrite de la propre main de sa

Majesté la Reine

CAROLINE MATHILDE

pendant sa détention au Château de Kroonenbourg ;

Envoyée de peus peu au Comte de ***

Copié sur l’ Original,

Traduite de l’Anglois,

A ROTTERDAM, Chez J. F. EBERT, Libraire sur le Steiger. MDCCLXXII.

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L'Editeur ne reconnoit point d’autres Exemplairespour autentique, que ceux qui sont signés de sa main.

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A MONSIEUR

LE COMTE DE ***.

Monsieur,

I' atachement que vous avez nombre de fois témoinné à ma famille, & les marques particulières d’estime & d’amitié que vous m’avez toujours données, m’encouragent à soumettre à votre jugement la justification, que j’entreprends, de ma conduite, contre les fausses & malignes accusations qu’on a intentées contre moi, & én conséquence desquelles je suis aujourd'hui détenue injustement prisonniere. La reputation que vous avez d’être un homme d’une droiture reconnue & à talents, sur le sentiment duquel chacun se repose, est aussi le motif qui me porte, dans la circonstance présente, à vous choisir par préférence à tout autre. Lorsque mes compatriotes sauront combien vous êtes convaincu de mon innocence, comme j'espére que vous le serez après la lecture de ce détail de mes malheurs, je ne doute point qu’ils ne renoncent aussitôt aux préjugés que plus d’une personne, comme je l’apprends, à déjà formés contre moi, & qui sont suivis de ces discours malins que mes ennemis ont répandus avec ardeur dans le Royaume. La pensée que ma réputation est flétrie parmi mes compatriotes, redouble la douleur de mon état humiliant &

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de ma prison; & si je n’étois pas convaincue que je n’ai aucunement mérité mes souffrances présentes, je succomberois sans doute sous le poids accablant de mes malheurs.

Après ce peu de mots, je vais me justifier contre les accusations dont mes ennemis me chargent.

Voici en quoi consistent les crimes dont on m'accuse, & dont je n’ai connu la nature que quelque temps après avoir été arrêtée. On prétend que je me suis rendu coupable d’une conjuration contre le Roi mon époux, dans l’intention de lui ôter la couronne; que, d’intelligence avec les Comtes STRUENSEE, BRANDT & autres, j'aurois réellement dressé un acte de renonciation, que j’étois résolue de fairé signer par force à sa Majesté, lorsque nous nous serions rendus maitres de sa personne, lequel dessein, à ce qu’on prétend, nous étions sur le point d’exécuter, dans le moment même où nous avons été arrêtées par ordre du Roi; & enfin, que j’ai des honoré le lit du Roi mon époux, par mon infidélité avec le fusdit Comte Struensee. Ces accusations sont le fondement sur lequel on m’a arrêtée! cependant on me charge encore de plusieurs autres choses, quoique d’une nature plus frivole, dont je parlerais dans son lieu, d’autant plus que ces dernieres ne font pas mises au rang des crimes d’état.

L’impossibilité absolue de prouver un désaveu, me fait, assez comprendre combien il me sera difficile de me de£fendre contre ces accusations! cependant si je puis prouver, comme je l’espere, que toute la conduite que l'on a tenue à mon égard a été arbitraire & injuste, & que l’evidence sur laquelle mes ennemis prêtendent m’avoir déclarée coupable, est bien éloignée de fournir une conclusion satisfaisante, j’aurai par conséquent démontré qu'il doit naturellement s’en suivre, que ceux qui ont recherché ma conduite, ont été contraints de faire violence à chaque point du droit & de l’équité pour exécuter leurs mauvais desseins. J’ajouterai quelques remarques pour faires voir le peu de vraisemblance qu’il y a que j’aye été coupable des crimes que l’on m’impute.

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Premierement pour ce qui regarde les circonstances de mon arrêt, lorsque l’ordre en fut donné, on n'avoit encore écouté personne relativement aux griefs dont ons charperoit; par conséquent on se saisit de moi, sans avoir la moindre apparance de raison pour me mettre en sureté. On me dira peut-être qu’il étoit nécessaire de s’assûrer de moi dans le même temps qu’on arrêtoit les autres personnes, de peur qu’à la premiére nouvelle qu’e j’aurois eu de leur détension, je ne cherchasse â m’échapper; on peut ajouter qu’ayant eu part à leur conspiration, je ne devois pas exiger plus de complaisance qu’ils n’en ont éprouvé eux mêmés. A cela je réponds, que puisque j'étois une des personnes spécifiées qui dévoient être accusées, mes ennemis auroient bien sû faire autour de moi une garde si exacte, qu’il ne m’auroit pas été possible de m’échapper. Aussi avoient-ils d’autant moins de raison de craindre mon évasion, que ceux qui, comme ils le prétendent, étoient mes complices, & qui devoient m’aider dans l’exécution d’un tel projet, manquoient eux mêmes de toutes les facilités imaginables, par les chaînes dont ils étoient chargés. La circonstance suivante éclaircira encore ce point d’avantage.

L’ordre du Roi pour m’arrêter lui fut extorqué par la Reine Douairiere & par le Prince FRIEDERIC; Car lorsque ces deux personnes lui firent la lecture de l’ordre par écrir qu’ils le pressoient de signer, Sa Majesté refusa absolument dé le faire & elle persista dans son refus jusqu’à ce que la Reine lui dit que si Sa Majesté ne vouloir pas condescendre à leur volonté, elle & son fils signeroient l’ordre. Le malheureux Roi, qui remarqua sans doute alors qu’il ne lui restoit plus que l’ombre de la dignité Royale, & qu’étant sous la puissance de sa mere & de son frere, sa propre sûreté couroit toute forte de risques, â moins qu’il ne consentît à tout ce qu’ils exigeoint, signa, d’une main tremblante & le cœur serré, l’ordre de me livrer entre les mains de mes ennemis.

On doit remarquer ici que le Roi refusa de signer l’ordre, même après que la Reine & le Prince leurent assuré que les conjurés & moi nous avions résolu de le

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forcer à renoncer au trône, preuve évidente qu'il ne me reconnoissoit pas capable de forger un pareil complot.

L’ordre ayant été obtenu par une voye aussi oblique, il fut remis au Comte RANTZAU pour l’exécuter lui même. Cet ordre avoit été extorqué par la violence, ce il fut, je dois le dire, exécuté d’une maniéré brutale. Je ne prétends pas que le Comte fut chargé de me traiter avec autant de barbarie qu’il le fit! je dois aussi avouër que jusque là je n’avois regardé le Comte que comme un homme poli & généreux. Le Comte ne me laissa pas beaucoup de temps pour me préparer à ma prison, & lorsque l’heure de mon départ du palais fut venue, il m’aida à monter, ou plutôt, il me poussa dans le carrosse qui me conduisit au chàteau de Kroonenburg, lieu de ma prison.

Avant que de quitter le palais, j’insistai avec fermeté pour qu’il me fût permis de dire un mot au Roi mon époux! mais cette liberté me fut absolument refusée par le Comte RANTZAU! & comme quelqesuns des officiers qui l’accompagnoient paroissoient disposés a voir exécuter ma demande, il les fit changer de sentiment en les assûrant qu’il leur en coûteroit infailliblement la tête, si je parvenois à voir le Roi. Ces paroles du Comte me donnent grande raison de soupçonner que 1arrêt de ma personne a eu lieu avant que le Roi en eût signé l’ordre, & que le Comte, dans toute cette affaire, n’a fait que suivre les ordres de la Reine Douairiere & du Prince FRIDERIC sans la participation de fa Majesté; car il n’est pas possible de supposer que le Comte & les autres officiers courussent le moindre risque en exécutant des ordres que le Roi lui même auroit donnés. Deux circonstances me confirment fortement dans ce soupçon! La premiere est que l’ordre de m’arrêter ne fut montré que quelque temps après qu’il eût été exécuté. La seconde est que lorsque le Colonel KÖLLER signifia l’arrêt au Comte STRUENSEE, il avoua qu’il n’avoit pas sur lui l’ordre du Roi; mais qu’il repondoit sur sa téte de ce qu’il faisoit. Si ces soupçons sont fondes, il s’en suit

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nécessairement que la Reine & fon fils avoîent précédement résolu d’obtenir l’ordre du Roi, quelque chose qu’il én pût coûter! ou que, s’ils voyoient manquer leur entreprise, alors ils rendroient inutile l’opposition de sa Majesté, en la privant du trône dans le meme temps qu’ils s’assûroient de ma personne.

Apres avoir été gardée quelques heures prisonnière dans le palais, je fus transportée au château de Kroonenburg, à déssein d’empêcher que j’eusse la moindre occasion d’approcher du Roi mon époux, de quelque maniére que ce fût. Dans le meme temps que lon me faisoit sortir du palais, tous ceux qui avoient quelque crédit auprès de fa Majesté, & qui étoient connus pour mes amis furent arrétés, sans doute pour empêcher qu’aucun d’eux ne put me rendre quelque service auprès de Sa Majesté qui, voyant qu’on ne lui laissoit point d’autres personnes pour sa garde, & ne comprenant que trop per mon exemple jusqu’à quel point il étoit soumis à leur puissance, & obligé de souscrire à toutes leurs volontés, se trouva forcé d’appuyer de son autorité toutes leurs entreprises. Que plusieurs personnes ayent été arêtées pour les raisons que je viens d’expliquer, cela paroît de la maniére la plus claire, en ce quelles ont toutes été relàchées, sans qu’on produisit contr’elles la moindre apparence d'accusation, au tribunal établi pour interroger les criminels. Quelques-unes de ces personnes ont obtenu depuis des pensions, pour les dédommager sans doute du traitement injuste quelles avoient souffert, & de la prison qu’elles n’avoient pas méritée. Je ferai maintenant quelques observations sur la conduite des juges nommés pour examiner les personnes que l’on suppose avoir en part à la prétendue conspiration.

Premierement quant à la nature de l’evidence sur laquelle les accusations étoient appurées, j’entends pour ce qui me concerne, mes ennemis ont soutenu que les crimes dont ont m’accusoit avoient été prouvés à l’entiere satisfaction de mes juges. Je crois bien certainement que mes juges se sont contentés de la moindre apparence

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d'une preuve pour me déclarer coupable! mais en méme temps je nie absolument qu’ils ayent été convaincus, dans le sens qu’ils veulent attribuer à cette conviction. Levidence, disent-ils, sur laquelle j'ai été déclarée coupable, consiste dans l’aveu des personnes qu’on m’a supposées pour complices. Cette circonstance auroit pu être de quelque poids, si cet aveu été fait librement; mais quand on pense que ces avex leur ont été arrachés au milieu des plus cruelles tortures, dont le seul récit fait frémir la nature, je suis convaincue que toute personne impartiale avenera qu’on auroit dû produire des preùves d’une toute autre nature pour appuyer les procedures de juges contre moi. D’un autre côte la conduite de la chambre de justice a êté tout à fait inexcusable: j’ai ici en vuë le secret avec le quel ils ont voilé toutes leurs procedures. Le moindre sujet devoit jouïr du privilège d’exiger une interrogation en forme & publique; c’est un droit qui appartient en général au public, qui devroit toujours être instruit des raisont sur les quelles est fondée une accusation de quelqu' importance intentée à qui que ce soit. Toute la nation Danoise étoit, dans le cas présent particulièrement affectée, tant par rapport à la nature de l'accusation, que par rapport au rang & aux liaisons des parles accusées! cependant on ne souffrit pas quil transpirât la moindre particularité de ce qui se possoit devant ce tribunal, que lorsque toutes les procédures furent terminées, & quand le Colonel KEITH, comme autorisé par le Roi, mon frere, demanda d’assister à l’interrogatoire des prisonniers, on le lui refusa positivement. Les motifs d’une telle conduite sont assez clairs, je pense; c'est pourquoi je ne m’arrêterai point à y faire de réflexions, & je finirai cette partie de mon sujet en remarquant que, quand je pese mûrement l’inimitié connue que les membres de ce tribunal avoient conçue pour ma personne, aussibien que ceux qui ont dirigé toutes leurs démarches, quand, dis-je, je me rappelle toutes ces circonstances, alors je tourne avec reconnoissance mon cœur vers Dieu, qui a permis que j’échappasse de

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leurs mains, & que je conservasse ma vie, je reconnøisicx pareillement les obligations que j’ai au Colonel KEITH qui a pris si couragement ma défense, & qui, j’en suis sure, sous la protection divine, a empêché mes ennemis de réaliser leurs barbaros & pervers projets.

Jusqu’ici, Mylord, je vous ai exposé la maniere dont on m’a traitée, depuis le temps qu’on se saisit de moi, jusqu’à la separation de la chambre de justice, & vous observerez aisement que les remarques que j’ai faites dans le cours de mon récit, coulent naturellement de la cause que j’ai devant les yeux, je répete encore une fois ce que je vous ai représenté au commencement de cette lettre, savoir le dommage que souffre ma cause par rapport à la difficulte de prouver un désaveu; mais j'espere qu'après la lecture du détail ci-dessus, vous serez convaincu que son m’a outragée d’une manniere grossiere, & que j’ai été privée de certains droits, aux quels j’avois droit de prétendre, sous le double caractere de Souveraine du Royaume & de sujette du Roi, je vais poursuivre en apportant quelqes preuves du défaut de vraisemblance qu’il y avoit que j’eusse eu part aux crimes dont on me charge, & je commencerai par l’accusation. touchant ma conspiration pour détrôner le Roi. Je n’aurois jamais pu donner de plus forte preuve de ma foiblesse & de ma perversïté, que de prendre part à un tel complot: car supposez vous meme qu’un tel projet eût été exécuté, les suites en devoien être tres funestes pour moi, puisque les Danois n’auroient certainement jamais souffert que moi, qui suis une étrangère, je regnasse sur eux, soit sous le titre de Reine, soit sous celui de Régente! & dans ce cas le Prince détrôné auroit été rétabli, ou la succession auroit été totalement changée par l’élévation du Prince FRIEDERIC au trône.

Mais supposons que l'éntreprise eût réussi, & que l’on m’eût accordé de monter sur le trône; comment auroisje pû m’attendre à demeurer dans cette possession, sans être troublée, puisquil est naturel de penser que la Reine, sous le prétexte plausible de rétablir le Roi détrôné, au-

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roit cherché du secours & de l’appui chez les puissances étrangères, afin de m’enlever l’autorité dont je me ferois emparée. La France dont l’influence & le crédit sont considérables à cette cour, par le pouvoir du parti qui m'est opposé, auroit très volontiers prêté son secours dans cette occasion, tandis que l’Angleterre, selon l’équité, auroit dû refuser tous soutien & tout secours à une usurpatrice, quelque proche & attachée qu’elle lui fût d’ailleurs. Ajoutez ici la forte résistance que j’aurois rencontrée dans un parti considérable formé par les naturels du païs même, qui sons très attachés à la Reine & au Prince FRIEDERIC.

Environnée de toutes ces difficultés, j’aurois eu très promptement le dessous dans un combat aussi inégal, & par conséquent j’eusse été précipitée de l’élévation où j’étois si légèrement montée, avec perte des forces, de liberté, & très probablement de la vie meme; mais supposez que j’eusse pu fermer les yeux sur les dangers & les difficultés qui accompagnent une pareille entreprise, où aurois-je cherché du secours pour l’exécuter? Les Militaires, par la part qu’ils ont prisé à la derniere révolution, ont fait voir qu’il m’auroit été inutile d’attendre du secours de leur part. La plus grande partie de la noblesse étoit dans les intérets de la Reine Douairiere. Le Public étoit trop prévenu contre moi par de fausses & de malignes suggestions, répandués à ce dessein par mes ennemis, pour que je pusse espérer le moindre soutien de ce côté la. La joje que ce même Public fît paroître, lorsqu’il apprit ma chute, montre clairement l’estime qu’il avoit pour moi. Jamais il ne s’est fait, jamais il ne s'est entrepris une révolution nationale, qu’il n’y ait eu au moins la plus grande partie des Troupes ou du peuple qui s’en soit mêlée: cependant on m’aceuse d’avoir cherché à occasionner une révolution, dans un temps où il paroit clairement que la plus grande partie de la noblesse, toutes les Troupes, & le Public étaient lignés contre moi. Etant ainsi environnée d’ennemis aussi puissants que nombreux, où pouvois-je chercher quelque pro-

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tection contre leurs complots & leurs machinations, qu’auprés du Roi mon Epoux? Et-il possible de concevoir que j’eusse été assez insensée que de vouloir le priver d’une autorité qui seule étoit capable de me protéger, contre toutes les entreprises de mes ennemis? En vérité l'absurdité de cette accusation ne peut être égalée que par la malignité avec laquelle elle a été conçue.

L’imputation suivante est encore d’une couleur plus noire que la précédente.

On se crut obligé de produite au grand jour quelque motif apparent qui m’eut engagé dans une entreprise environnée de tant de dangers & de difficultés. Toute ma conduite, pendant mon séjour à la Cour de Copenhague, prouve que le desir de commander, foible assez propre à mon Sexe, étoit précisément de toutes les passions celle qui avoir le moins de place chez moi. Jamais je n’ai cherché à former la moindre faction à mon avantage, même lorsque je pouvois clairement remarquer qu’il s'élevoit un fort parti contre moi; mais mettant toute ma constance dans mon innocence, & dans la faveur du Roi mon Epoux, j’entendois sans inquiétude le bruit des sourdes cabales qui se formoient depuis quelque temps.

C'est pour cette raison que mes ennemis furent obligés d’imaginer quelqu’autre motif que le seul desir d’augmenter mon autorité, avec dessein de détrôner le Roi; en conséquence ils supposèrent que j’entretenois un commerce criminel avec le Comte STRUENSEE & qu’il étoit devenu nécessaire, tant pour la sureté du Comte que pour la mienne propre, de priver le Roi d’une autorité dont nous étions sûrs qu’il étoit prêt à se servir très sévèrement contre nous, si notre crime venoit à paroitre au grand jour. Pour donner plus de force au soupçon qui me supposoit coupable, ils répandirent que la ressemblance avec le Susdit Comte étoit visiblement rcconnoissable dans les traits de l’innocente fille à la quelle j’ai donné le jour Ils fondoient cette accusation sur une prétendue familiarité entre moi & le Comte, qui, disoient-ils, n'étoit

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pas compatible avec la dignité que j’aurois du garder dans toute ma conduite, en qualité d’Epouse du Roi.

On soutient que le malheureux Comte; dans son interrogatoire, s’est reconnu lui même coupable d’une pareille familiarité criminelle avec moi; mais je puis à peine concevoir que le Comte ai pu deshonnorer mon nom, & souiller son propre honneur par une accusation dépourvue de toute vérité. Toutefois en supposant qu’il ait fait cet aveu il ne devroit cependant pas, sans d’autres circonstances aggravantes, servir de raison suffisante pour me declairer coupable, puisqu’on ne peut pas nier que cet aveu ne lui ait été extorqué à la question par les plus cruelles tortures; mais mes ennemis avoient déja pris la résolution de me condamner, même aux dépens de l’Equite, de la droiture & de la raison. Cette conduite ne me surprend pas lors que je penfse aux ordres qu’ils avoient à suivre, Je suis pleinement convaincue que le choix des membres de la Chambre de Justice, dont j’ai déjà parlé, aussi bien que certains arangements fixes, sur lesquels ils devoient se régler, que tout cela disje a été déterminé par l’autorité de ceux qui forcerent le Roi, comme je l’ai dit plus haut, â signer l'ordre de m’arrêter. Il est tres remarquable qu’on nait pas répandu le moindre soupçon sur la légitimitié du Prince mon fils; mais cette circonstance fera le sujet de mes observation; dans un autre partie de mon discours, ou elle viendra plus à propos.

Pour revenir à l'accusation, une prétendue familiarité entre le Comte & moi; comme je l’ai déjà dit, a servi de fondement à mes ennemis pour m’accuser d’infidélité, & cette familiarité, soutiennent-ils étoit visible à toute la Cour. Si cela étoit réellement ainsi, pourquoi donc le Roi a-t-il ignoré une circonstance si essentielle? Il est clair qu’il n’en a rien su, même lorsqu’on se saisit de moi, autrement il n’auroit pas hésité un instant à signer l’ordre pour me faire arrêter. D’ailleurs d’auroit été en moi une preuve de la plus haute folie, de tenir une conduite si imprudente à une Cour, où je sa-

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vois tres bien qu’un grand nombre de ceux qui m’environnoient étoient autant d’espions de ma conduite. Je finis ici mes remarques sur les principales accusarions intentées contre moi, pour passer à des griefs de moindre consequence, que mes ennemis ont eu l’addresse de répandre & de faire croire à la Nation, en rassemblant pour cela toutes les forces dont ils étoient capables. Les principaux de ces griefs sont 2) que je n’ai point témoigne au Roi assez d'affection ni de respect. 2) qu’engénéral j’ai traité le Danois avec une sorte de mépris. 3) enfin que j'ai introduit le Spectacles, les Bals, les Mascarades &c. a une Cour qui jusqu’ici avoit été recommandable par la sevérité de ses mœurs.

Mes ennemis répandoient journellement ces accusations contre moi dans tout le Royaume; & pendant que je faisois les derniers efforts pour mérites par ma conduite l’estime du Roi en particulier, & celle de la Nation en général, me flattant de posséder déjà leur affection, mes ennemis par leurs basses menées & leurs lâches artifices m’ont rendu l’objet de leur mépris & de leur haine.

Mais pour revenir, le premier chef dont on m’accuse est d’avoir eu trop peu d’amour & de respect pour le Roi mon Epoux: Je m’inseris absolument en faux contre cette accusation. Mon inclination aussi bien que mon devoir m’ont toujours portée à me conduire de façon que je pusse m’assurer de l’affection & de la confiance de Sa Majesté. Une gaieté naturelle me portoit à mettre toute mon application à lui plaire; aussi Sa Majesté a-t-elle souvent déclaré que mon humeur enjouée étoit pour elle un délassement, & une recréation assûrée, après les soins attachés à la dignité Royale. Mais pour faire voir jusqu’où peut aller la force de la malignité, voici ce qui a donne lieu à mes ennemis de me reprocher comme un crime cette gaieté & cet enjouement mêmes: j’avois remarqué depuis quelque temps, que le Roi devenoit inquiet & abbattu, ce qui provenoit de la foiblesse de sa santé.

Aussitôt que je m’apperçus de cette mélancolie, je

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cherchai à la dissiper en redoublant cette vivacité à laquelle le Roi avoit tant de fois témoigné prendre un plaisir si vif; mais tous mes efforts furent inutiles, car la maladie sembloit augumenter de jour en jour. Quoique je craignisse les suites de ce mal, & que je ressentisse tout ce qu’on peut naturellement attendre, dans une pareille circonstance, d’une épouse respectueuse, & affectionée, je m’imaginai cependant que le retablissement du Roi dépendoit en grande partie des soins que l'on se donneroit pour l’empêcher de tomber dans un découragement, pour lequel je nelui voyois déjà que trop de disposition.

En consequence je continuai à témoigner une joie à laquelle, pour lors; mon cœur étoit bien éloigné de prendre la moindre part, cherchant par cette conduite ai faire croire au Roi que son mal n’étoit pas aussi dangereux qu’il le lui parroissoit. Pour réussir dans ce dessein j’ai plaisanté quelquesfois avec lui sur les doutes qu’il formoit de ion rétablissement; & pendant que d’autres personnes, sous prétexte de lui plaire, augmentoient ses inquiétudes, en le fortifiant en partie dans ses sentiments sur le danger de sa maladie, j’ai travaillé fans relâche à détruire ces mêmes inquiétudes, en affectant de penser favorablement de son etat.

Quelqu’étrange qu’une pareille conduite puisse vous paroître, je puis vous assûret, Mylord, que certaines personnes, pour des raisons qui leur sont très bien connues, s’en sont rendues coupables, à mesure que la maladie du Roi augmentoit, ses craintes prenoient aussi de nouvelles forces: souvent même lors que je cherchois à l’encourager & à lui prouver que sa santé sembloit se rétablir, il me rébutoit d’une maniere chagrine & me répondoit d’un ton en quelque forte aigre & disgracieux.

Mes ennemis saisisant cette occasion résolurent de s’en servir pour me perdre: aussi inspirerent-ils au Roi que ma conduite légère & volage, comme ils l’appelloient, dans un temps où tous ses autres amis étoient consternés du mauvais état de sa santé, fournissoit une preuve

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du peu d’estime & d’affection que j’avois pour sa personne, ils chercherent à fortifier ces discours, en soute-, nant que ma conduite en sa presence n’étoit pas à beaucoup prés aussi répréhensible que celle que j’avois coutume de tenir lorsque je me trouvois en liberté; ils finissoient par assûrer Sa Majeste que ma conduite dans la circonstance présente etoit devenue le sujet des entretiens de toute la cour.

J’ai de fortes raisons pour penser que cette maligne accusation n’eut pas dans ce temps-lá tout le succes qu'on s’en promettoit, puisque le Roi ne m’a jamais dit le moindre moi sur cet article; c’est aussi une grande consolation pour moi de pouvoir assûrer. que cette accusation n’avoit d’autre fondement que la malignité des mes ennemis.

Le sécond chef d'accusation porte qu’en général j’ai toujours traité les Danois avec une aspece de mépris qu’ils ne s’étoiènt jamais attiré de ma part, pour me justifier je n’ai besoin que de vous exposer la conduite que j’ai tenue à leur egard, depuis le moment où je suis arrivée à Copenhague. Les habitans me reçurent au commencement avec toutes fortes de témoignages de joie, & je me flattois, qu’après avoir vécu quelque temps parmi eux, je les confirmerois dans tous les bons sentiments qu'ils avoient conçus pour moi, seulement, à ce qu’il sembloit, sur le rapport de la renommée, j’aurois vu certainement mes vœux remplis, sans les intrigues de mes ennemis, qui répandoient sans cesse contre moi des calomnies qu'ils connoissoient le plus propres à me nuire dans l’esprit du public.

Les Danois, a ce que j’ai remarqué, paroissent très crédules; & mes ennemis ont profite de cette crédulité pour l’avancement de leurs desseins.

En conséquence de la regle sur laquelle j’avois résolu de dirriger ma conduite, je cherchois toutes les occasions de me rendre agréable à toute la Cour, mettant en usage les politesses & les marques d’amitié de toute espece; pour écarter tout soupçon que je cherchasse

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à me faire un parti, j’évitois de faire jamais la moidre difféqrence entre les Personnes qui venoient faire leur Cour; mais je traitois chacun avec une égale politesse & avec la même consideration.

Pour cette raison je me suis bien gardé d’engager aucun

de mes Compatriotes à venir a la Cour de Danemarc, quoique le crédit que j’avois auprès du Roi m’eût sans doute mise en état de les récompenser largement d’avoir abandonné leur patrie, & quoique ces mesures m’eussent aussi procuré un grand avantage, puisque parla je me ferois fait un grand nombre d’amis, qui auroient toujours été prêtes à s’opposer à tous les projets que mes ennemis pouvoient former contre moi: je préférai de mettre ma seule confiance dans les sujets de mon Epoux & de me priver de l’avantage & de la satisfaction que j’aurois pu tirer d’une pareille démarche.

Le plaisir que le Roi devoit naturellement ressentir en me vovant autant aimée des ses sujets que de lui même, doit aussi un puissant motif pour me porter â mettre tout en œuvre pour gagner l’estime pu peuple en général; & la considération même de mon propre interêt, auroit seule suffi pour me faire employer tous mes efforts pour y réussir.

Je n’ai plus rien a dire sur la présente accusation, sinon qu’elle est dépourvue de tout fondement aussi bien que toutes les autres.

Le Grief, qui me reste à examiner, porte que j’ai introduit les Bals & les Mascarades à une Cour qui a toujours été célebre par son éloignement pour toute sorte de pareils spectacles de déreglement, comme il plait à mes ennemis de les appeller, & dont la pureté des mœurs a toujours été regardêe comme un modele digne d’étre suivi.

Cette accusation a quelque chose de particulier & de remarquable, en ce qu’elle me charge d’avoir introduit plaisirs dangereux & prejudiciables à la vertu, quoique ces divertissements soient favorisés & encouragés dans la plus part pes cours de l’Europe, qui loin de les regarder comme pernicieux & nuisibles, les croyent au con-

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traire très propres à favoriser les arts & les manufactures.

Dans cette accusation il y a encore une autre circonstace qui ne mérite pas moins d'attention, c'est qu’elle contient un certain dégré de vérité, condition qui, quoique nécessaire dans toutes les accusation, manque absolument dans toutes celles qui ont été faites contre moi. Je soumets à vos reflexions l’état suivant des circonstances de toute cette affaire.

Les divertissements publics qui eurent lieu à l'occasion de mon mariage avec le Roi, avoient insensiblement donné, à différentes Personnes de la Cour, du gout pour de semblables divertissements, & lorsque toutes ces démonstrations de joie furent finies & que tout fut rétabli fur l’ancien pied, je fus priée par quelques unes de susdites Personnes de faire mon possible auprès du Roi, pour obtenir qu’il consentît à renouveller, dans de temps merqués & sous certaines limites, ces mêmes ivertissements.

Je leur promis de proposer au Roi leur demande, & dans peu de jours je remplis, ma promesse. Le Roi m’accorda ma demande de la maniére la plus obligeante & depuis ce temps là les divertissements, dont on se plaint, ont fait le continuel délaissement de la plus grande partie de la Cour ; mais avant que de faire la moindre demande au Roi, j’avois fait part de ma résolution à la Reine Douairiere, & je l'avois consulté sur cette démarche elle m’avoit répondu qu’elle n’y voyait rien d’indécent, & elle m’offrit sur le champ d’apuyer ma demande, en cas que Sa Majesté fit la moindre difficulté de l’accorder; mais ceci est une circonstance que j’aurai occafîon d’examiner plus au long avant que de finir cette lettre.

Par tout ce que j’ai dit, il paroit clairement que les mauvaises suites, s’il y en a eu de telles, qui venoient de l'introduction des susdits divertissements, ne peuvent avec aucune raison être mises à ma chargé, puisque, dans cette affaire, je n’ai agi qu’à la réquisition & d’après les

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conseils d’autrui, ignorant absolûment ce que les Danois pensoient de ces divertissements; je ne fais cependant aucune difficulté de reconnoitre que dans cette occasion je desirois le consentement du Roi avec autant d’ardeur qu’aucun de ceux qui m’avoient portée à le demander.

Je termine ici les remarques que ja’vois dessein de faire tant sur les accusations graves & de peu d’importance portées contre moi, que sur la conduite que l’on àtenue à mon égard en conséquence des accusations du premier genre & par ce moyen je pense avoir prouvé, autant qu’un désaveu peut l’être, que toutes les susdites accusations, excepté une seule, font entièrement deslituées de tout fondement; que par rapport à l’accusation que je regarde comme en quelque sorte fondée, toute la faute, s’il y en a, ne peut être attribuée qu’à mon ignorance, & non à un dessein prémédité de ma part; j’ai aussi prouvé que les procédures, faites contre moi par la Cour de Justice, étoient dépourvuës de la moindre apparence de justice & de raison; maintenant je vous laisse à juger, Mylord, si les preuves que j’ai apportées sont satisfaisantes.

Comme vous pouvez naturellement attendre de moi que je vous indigue quelques motifs du traitement cruel & injuste de mes ennemis, je vais vons detailler un nombre de circonstiances qui vous feront comprendre la cause de leur conduite à mon egard.

Je me suis servi jusqu’ici du nom commun d' Ennemis; lorsque je devois faire mention de Personnes qui par leurs ruses & leurs artifices ont ouvri la trame du malheur sous lequel je gémis aujourd’hui.

Cest pourquoi je dois vous dire que, sous cette dénomination, j’ai toujours entendu la Reine Douairière, son fils de Prince FREDERIC, & ceux de la Noblesse & des autres Etats qui ont prêté la main pour faire réussir la derniere révolution; je dois de plus vous détailler certaines circonstances, auxquelles jusqu’ici je n’ai point touche, & qui regardent la conduite de ces Personnes : je vous rappellari de même quelques unes de celles qui ont fait le fujet de mes réflexions, & sur les quelles je

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vous ai promis plus haut de faire des observations plus particulieres.

La conduite de la Reine Douairiere fournira dans cette occasion la principale matiere de mes remarques, puisque je la regarde comme le principal ressort qui a donné le mouvement à toutes les autres parties; mais en même temps je negligerai pas de faire quelques remarques sur la conduite de deux autres Personnes qui ont prête leur ministere dans cette affaire.

Pour commencer l'examen que je veux faire de la conduite de la Reine Douairiere: à mon arrivée à la Cour de Danemarc, je fus reçuë de Sa Majesté avec toutes fortesde témoignages d’amitié & d'affection; mais comme mon mariage avec le Roi devoir, selon toute apparence, lui ôter toutes les esperances qu’elle avoit conçues de voir fon fils succéder au trône ; j’attendois de sa part un tout autre traitement; il n’étoit pas nécessaire d’être consommée dans Part de la Politique pour soupçonner que ces témoignages d’amitié me dévoient être suspects; ce furent aussi ces raisons qui me firent douter de leur sincérité; mais enfin je renonçai à toute sorte de défiance, & je pris pour Sa Majefté une affection qui étoit aussi sincere que la sîenne étoit fausse.

Dès ce moment je me mis entièrement sous la conduite de Sa Majesté, lui demandant constament conseil sur chaque circonstance de quelque importance.

La premiere affaire de conséquence pour la quelle j’eus besoin de son conseil, fut au sujet de la priere que me firent quelques unes des principales Personnes de la Cour, pour obtenir, par mon crédit, que le Roi consentit au renouvellement des certains divertissements puplics dont j’ai déjà parlé; à cette occasion elle me conseilla fortement de poursuivre cette demande, alléguant pour raison que par là j’obligerais sensiblement ces Personnes, & m’assûrant que si le Roi faisoit la moindre difficulté à ce sujet, alors elle joindroit ses Sollicitations aux miennes; mais, de dessein prémédité, elle ne me dit pas un seul mot de l’aversion que les Danois ont pour ces sortes de divertilfements.

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Par cette conduite la Reine Douairiere obtint deux choses essentielles à ses vues: d’un côté elle me rendoit l’affaire en elle même de plus en plus agréable, & de l’autre côté elle savoit combien la Nation seroit mécoutente du renouvellement des ces divertissements, que par consequent on ne me voudroit que du mal, lors qu’on viondroit à savoir qu’ils n’avoient été renouvelles qu’a ma priere.

Il y eut dans la conduite de Sa Majesté une circonstance qui me surprit extrêmement, lors que j’eus appris à mieux connoître le caractere de la Nation: ce fut l’ardeur avec laquelle elle me pressa d’appuyer mon crédit toutes les propositions qui tendoient à introduire la pompe & la dépense; j’attribuai cet empressement au dessir qu’elle avoit de rendre mon état aussi agréable qu’il étoit possible, en introisant les divertiffements pour les quels j’avois toujours témoigné du gut & de l’inclination, & aux quels j’avois toujours été accoutumée dans ma patrie.

J’ai eu depuis de fortes raisons pour changer de sentiment, & maintenant je suis convaincue que les motifs de sa conduite, dans cette occasion aussi bien que dans les autres, n’étoient qu’un plan formé de .me nuire alitant qu’il étoit possible dans l' esprit du peuple.

Pendant tout le sejour que le. Roi mon Epoux fît en Angleterre, Sa Majesté me donna une preuve extraordinaire de la capacité dans le ruses de Cour, par son expérience dans l’art de feindre, voici le fait.

Lorsque nous étions seules, l’infidélité des hommes mariés envers, leurs femmes, qui n’est que trop à la mode en Angleterre, faisoit ordinairement le sujet de ses discours, & dans ces conversations elle prodigoitn les louanges fur mes qualités, & faisoit paroitre une ferme espérence (ce qui me paroissoit aqpen près une crainte complette) que le Roi ne se laisseroit jamais corrompre par l'air empesté de cette Cour.

Peu de temps aprés Sa Majesté commença, dune maniéré indirecte, à me rendre suspecte la conduite du Roi,

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& enfin elle en vint au point de me nommer plusieurs Personnes à Londres avec qui, à ce qu’elle prétendoit, elle étoit instruite que le Roi entretenait une familiarité scandaleuse.

je fus alors trompée par ses artifices; car pendant que je déplorois en secret l'inconstance dont j’accusois Sa Majesté, mon cœur se répandoit en actions de graces à la Reine Douairiere, pour les nouvelles marques d’affection qu’il me sembloit qu’elle me donnoit. Cependant tous les efforts, qu’elle fit pour semer la division & la dissention entre le Roi & moi, n’eurent pas l’effet qu’elle s’en étoit sans doute promis. Car lorsque je fis réflexion que tous les reproches que je pourois faire au Roi fur ce sujet seroient presque sans fruit je résolus de tenir une toute autre conduite, & cachant devant lui la connoissance qu’on avoit eu soin de me donner de sa mauvaise conduite, je m’efforçai par les témoignages de ma tendresse ordinaire de regagner son amour.

En consequence de cette resolution, je m’efforçai au retour du Roi, de lui donner autant de marques apparentes d’affection que j’en avois eu réellement avant son depart.

Sa Majesté qu’on avoit eu grand soin de prévenir que j’avois connoissance de ses foiblesses & qui eu conséquence d’attendoit de moi une toute autre reception, parut douter de la sincérité de mes démonstrations; mais voyant enfin que je ne laissois pas échapper la plus légere apparence de mécontentement de sa conduite passée, il se défît de ses soupçons, & depuis ce moment son affection pour moi parut augmenter à chaque infiant.

Peu de temps apres le retour du Roi, mes yeux s’ouvrirent en pertie sur les artifices de la Reine Donairiere à l’occasion de l’avanture suivante: une place de peu de conséquence étant venue à vaquer, Sa Majesté me pria de la demander au Roi pour quelqu’un qu’elle me nomma. En vain je lui représentai que depuis mon entrée dans le Rayaume je ne m’étois point encore mêlée de faire donner des Charges, & cela à raison de mon incapacité pour juger du mérite de personnes qui y aspiroient, & aussi parce que j’avois resolu de ne ja-

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mais travailler à m’emparer d’un droit qui appartenoit si particulierement à la personne du Roi.

Toutes ces considérations, que j’aportois comme autant de raisons qui me faisoient souhaiter de ne me point voir impliquée dans cette affaire, furent inutiles; car Sa Majesté insista si fort sur ce sujet, qu'a la fin je me vis obligée de consentir à ses desirs.

La raison, à ce qu'elle me dit que lui faisoit tant insister sur ce point, étoit, qu’à cette occasîon, un Gentilhomme lui avoit parlé en faveur d'une personne, qu’elle savoit très bien n’avoir aucune capacité pour cette charge; que de plus elle n’osoit refuser positivément le Gentilhomme, qui étoit d’une famille ancienne & puissante, & que d’ailleurs elle lui avois des obligations particulieres. Elle me pria donc de ne rien témoigner à Perfonne de la demande qu’elle me faissoit à se sujet, afin qu’il n’en parvint rien aux oreilles de ce Gentilhomme, & elle finit en m’assûrant qu’elle n’avoit point d’autre raison de me recommander la Personne en question si non qu’elle la connoissoit pour celle de toute la Cour qui avoir le plus de capacité pour cet emploi. Pour abbréger, j’en parlai au Roi, qui sans balancer, m’accorda ma demande, & quelques jours après j’appris que la Reine Douairiere elle même avoir assûré ce Gentilhomme que ce qui l'avoit empêché de parler au Roi en sa faveur dans cette occasion, étoit qu’ayand par hazard parlé devant moi de cette affaire, j'avois témoigné sur le champ un violent défit de demander au Roi le susdit poste pour la personne qui l'avoit obtenu depuis, reconnoissant cependant, qu’excepté Sa Majesté, personne ne connoissoit mes vuës à ce sujet.

Il paroit de la manniere la plus claire que, par une pareille conduite, elle cherchoit à inspirer à ce Gentilhomme la pensée que, dans toute cette affaire, je n’avois cherché qu’à traverser ses desseins.

La derniere circonstance de la conduite de Sa Majesté est d’avoir soutenu, ou plutôt imaginé l'accusation qui me charge d’avoir eu des familiarités criminelles avec le Comte

Struensee.

Comme c’étoit une conséquence nécessaire, si je venois à être déclarée coupable de ce crime, que je fusse bannie à per¬

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pétuita de la Cour, en casqu' on me fit grace de la vie, il n'est pas difficile de deviner les motifs de sa conduite.

Les raisons qui engagerent probablement Sa Majesté dans toutes les circonstances susdites, excepté la derniere, étoient simplement d'une moindre sorte; mais ce qui lanimoit principalement & le plus vivement à la conduite qu’elle a ten e étoit, j ose lassûrer, le dessein qu’elle avoit formé de m'éloigner pour toujours de la présence du Roi mon Epoux, & elle n a que trop bien réussi dans cette entreprise.

J’ai promis plus haut de parler plus au long d’un de griefs portés contre moi, j’entends l'accusation d’avoir eu avec le Comte STRUENSEE des liaisons criminelles; surquoi je remarquerai seulement, que ça été un chef d’œuvre de politique de fixer la date de ces liaisons après la naissance du Prince mon fils: car si l’on avoit avancé quelque chose contre la légitimitié de sa naissance, on auroit été fortement soupçonné de chercher à changer la succession trône, & les différentes circonstances détaillées dans le cours de cette lettre prouvent avec la plus grande vraisemblance, que tels ont été en effet les intentions des mes ennemis; au moins la Conduite de la Reine Douairiere, celle du Comte RANTZAU & du Colonel KÖLLER dans le temps de mon arrêt, sur les quelles j’ai déja fait mes réflexions, ne fournissent point de circonstances d’où l’on puisse conclurer le le contraire.

Après avoir ainfi mis fin à mon récit, J'espere, Mylord, que vous me pardonnerez la peine que je vous ai donnée. Le vif desfir que j’ai de justifier ma conduite à vos yeux, & par votre moyen de faire connoitre mon innocence à tous mes Compatriotes, est cause que j’ai pri la liberté des vous écrire cette lettre. Ayez la bonté d’excuser les défauts de style naturels à mon sexe, & soyez assùré de la parfaite estime avec la quelle je suis.

Mylord,

Votre très obligée CAROLINE MATHILDE

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Post-Scriptum. En refisant ce que j’ai écrit ci-dessus, je suis extremement surprise de n’avoir pas fait la moindre remarque sur une autre accusation intentée contre moi par mes ennemis, & dans la quelle la malignité ne se manifeste pas moins que la fausseté, j’ai en vue l’imputation qu’on me fait d’avoir conseillé à Sa Majelté de rem ercier la Garde de Suisse, & de l’incorporer dans les autres troupes.

Touchant la fausseté de cette accusation, je puis en appeler à toute la Cour, qui sait très bien que cet arangement n’a pas été fait à mon instigation, mais à celle de la Reine Douairiere. La malignité de cette même accusation paroitra clairement par les raisons mêmes que mes ennemis supposent m’avoir portée à faire cette démarche, savoir qu’en remericant la Garde du Corps, je pouvois d’autant plus aisément exécuter mes projets eontre le Roi; mais en même temps que je déclare n’avoir pas eu la moindre part à cette affaire, je reconnois que les mesures que l’on avoit prises avoient entierement mon approbation: premierement à cause du mauvais Etat où se trouvoit la caisse du trésor, que Ion m’assûroit être presque vuide: secondement à caufe de la préférence que je croyois duë aux naturels du païs de garder la personne du Roi.

Pour le motif que mes ennemis me supposent, il est foible & faux; car quand même j’aurois eu part au susdit changement, puisque je ne pouvois avec aucune vraisemblance esperer aucun secours des Troupes Nationales, il auroit été absurde de procurer le déplacement des ces Gardes, de l'assaistance des quels je pouvois seulement attendre le bon succès de mon entreprise.

La suite a prouvé en parti que ce doivent avoir été là les motifs de ceux qui ont fait prendre de pareilles mesures; meis vous comprendrez aisement que, pour les raisons que j’ai apportées, je ne pouvois prendre aucune part dans cette affaire.