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Page VI — LE MONDE — 7 décembre 1968

SUPPLEMENT AU NUMERO 7434

SCIENCES HUMAINES

En hommage

å Georges Gurvitch

Deux traductions longtemps attendues

< Perspectives de la sociology contemporaine»

LE genre classique des Mé- langes, ou sont rassemblés des textes en hommage å une personnalité et qui laissent échapper quelques relents de la mondanité universitaire, n’est pas mort. II pent, dans les cas favorables, témoigner de l’nni- té d’inspiration qui relie les membres d’une école de pen- sée. Ce recueil, offert en hom- mage å la mémoire de Georges Gurvitch (disparu en 1965), il- lustre plutot l’état de fraction- nement ou se trouve la socio- logie en France. Sans doute, comme Georges Balandier le remarque dans sa preface, ou il ébauche l’itinéraire scienti- fique de son prédécesseur dans la chaire de sociologie å la Sor- bonne, Georges Gurvitch « n’a Jamais voulu établir une éco- le, et encore molns devenir l’agent provqcafceur d’une mo- de intellectuelle ». Il n’en reste pas moins que son æuvre est parvenue å faire figure de pole d’orientation, sinon de drapeau unificateur de nombre de so- ciologues, psyehologues, ethno- logues, voire économistes. Toutefois, le lecteur de ce fort volume éprouvera quel- que difficulté å trouver une communauté d’esprit dans la trentaine de textes d’auteurs francais et étrangers ainsi jux- taposés. La diversité des colla- borations a naturellement ex- clu toute unité thématique.1 Si plusieurs essais reprennent di- rectement ou indirectement des sujets gurvitchiens, la plu- part ne s’y référent qu'inci- demment et certains autres en sont apparemment indépen- dants. Il y a cependant lleu de penser que leur rencontre n’est pas entiérement fortuite : méme si Fon fait la part de la fidélité personnelle manifes- tée par les auteurs å la mé- moire d’un maitre å penser, il demeure aussi que la plupart d’entre eux ne récuseraient pas la volonté d’action sociale que Georges Gurvitch tenait de ses ancétres spirituels avoués : Saint-Simon, Proudhon, Marx et les durkheimiens. La premiere parfie traite ~du théme « dynamique et clas- ses sociales », la seconde des problémes touchant les « idéo- logies et la sociologie de la connaissance », tandis que des textes relevant des «théories sociologiques» au sens large ont été rangés dans la troisié- me partie. Dans la premiere partie Georges Balandier présente des réflexions sur «les stratifica- tions sociales primitives », pro- loTigeant ses études d’anthro- pologie politique comparée. Francois A. Isambert, dans le sillon de sa these, livre un morceau supplémentaire de ses travaux sur le catholicisme et le nationalisme dans la pre- miére moitié du XIXe siécle. Alain Touraine donne un expo- sé récapitulatif de la sociologie des «nouvelles classes socia- les» pour en tirer des ensei- gnements en vue d’une redéfi- nition de ce concept et de son usage dans l’étude des sociétés industrielles avancées. Le second volet du livre dé- bute par l’esquisse nuancée que présente Roger Bastide d’une sociologie de «la con- naissance de l’événement» par la méthode des «causalités singuliéres », autrement dit des techniques archai'ques et popu- laires de prédiction et d’acticn sur l’avenir. Dans un autre ordre d’idées non moins gur- vitchiennes, Pierre Métais bros- se un tableau de la « multipll- cité des durées sociales méla- nésiennes». Plus pres des re- cherches sur le terrain Jac- queline Roumeguére-Eberhardt analyse les moments de l’épis- témologie bantoue en confron- tant des données qu’elle a re- cueillies conernant l’écart en- tre l’idéal normatif des mythes et la pratique vécue du rituel indigene. On remarquera dans la troi- sierne partie du curieux article de J.-L. Moreno sur les rap- ports de la « microsociologie et du marxisme ». Il s’agit autant de l’historique des attitudes soviétiques å l’égard de cette branche de la psychologie so- ciale que d’une profession de foi du fondateur de la socio- métrie, qui revendique pour sa discipline une vocation propre- ment révolutionnaire dans la résolution des conflits sociaux et l’élimination du « proletariat sociométrique » (sic !). On lira aussi avec fruit l’essai, å la fois critique et compréhensif, que Pitirim A. Sorokin consa- cre å la « dialectlque empirio- réaliste » de son ami et collé- gue, qui lui était un compa- gnon fidele dans Immigration. VICTOR KAR ADY. •k Preface de G. Balandier. Sous la direction de Georges Balandier, Roger Bastide, Jac- ques Berque et Pierre George. Paris, Presses Universitaires de France, Bibliothéque de socio- logie contemporaine, 1968, XII + 468 pages, 36 F.

«

PROLÉf,OMENES A UNE THÉORIE DU LANGAGE de Louis Hjemslev

LA publication de la traduction frangaise de eet ouvrage, vingt-cinq ans aprés l'origi- nal en 1943 et quinze ans aaxes la traduction anglaise de Whitfield en 1953. permet de juger le retard que la linguistique avait prise en France. N'est-il pas paradoxal que l'ouvragø majeur de la linguistique structu- rale paraisse au moment méme ou le structuralisme linguistique est mis en question et ne soit plus qu'une etape, aujourd'hui histori- que, du développement scieniiiique de la science du langage ? Ce n'est pas lå diminuer l'importance du li- vre de Hjelmslev, c’est au contraire le situer å une place qui, -jusqu’en 1950, lui a été contestée. Aussi les leeteurs, qui sont aujourd'hui fami-

pouvant calcul.

étre alors l'objet d'un

Hjelmslev se caractérise par des positions qui assurent son origina- lile propre dans le structuralisme : une méthode rigoureusement déduc- tive et un lien étroit ménagé avec la logique moderne. L'analyse con- siste å enregistrer certaines relations entre les termes qui sont des parties du texts et qui n'existent qu’en vertu de ces relations. Celles-ci se- ront de deux types seion que l'on envisage l'unité dans ses relations de 8olidarité avec les termes qui les precedent et le suivent dans la

liers des theses du structuralisme et chains (axe syntagmalique) et avec les termes avec lesquels il peut commuter en certains points de la chains (axe paradigmatique). Em- pruntant ses méthodes d la logique. Hjelmslev délinit plusieurs types de rapports seion que les deux termes sont des variables ou des constan- tes, ou l'une seulement. On aboutit done d constituer la langue en un systéme de signe s, un code; tout se passe comme si le langage était un codage d'un systéme de signes par un autre systéme de signes. Cette notion de code, que l'on trouve exprimée plus nettement encore dans lei conférences qui suivent les Pro-

pour qui la linguistique moderne n'est pas étrangére, trouveront dans cette traduction, aisée et precise, des concepts et une méthodologie largement diffuses; ils n'y trouve- ront pas la révélation d'une' révolu* tion linguistique actuelle, mais un expose dense et d'une clarté exem- plaire des principes qui, conver- geant avec ceux de la linguistique américaine de Bloomfield (1930) et celle de la linguistique européenn9 de Troubetskoi, Saussure ou Jakob- son, ont fait de la linguistique une science humaine. Que les traduc- teurs et l'éditeur aient fait suivre les

prolégoménes d'une traduction de Jégoménes, permet alors d'élarglr

conférences inedites de Hjelmslev sur la structure fondamentale du langage e s t intéressant å plus d'un titre; d'un abord plus facile, ces conférences étaient aussi une reflexion sur la théorie elle-méme. La « glossématique » La linguistique, science de la lan- gue, implique pour que se constitue son objet une théorie du langage : poser ce princips en 1943 alors que les études philologiques domi- naient, confondant l'objet que cons- tituent les langues avec l'ensemble des facteurs qui conditionnent les évolutions des systemøs, c'était alors renverser les termes dans lesquels se posait l'étude des langues. Il découlait de la definition de son ob- jet que la linguistique prenait pour données le seul text© -e* qvV-c\W s’appliquait å en formaliser les structures en s'astreignant å certai- nes exigences scientiiiques : la des- cription doit étre non contradictoire et exhaustive, aussi simple que pos- sible. Cette théorie du langage, avait pour consequence la construction d'une méthode d'analyse spécifi- que; en effet il fallait aboutir å un classement des unites par l'éta- blissement de niveaux successifs et de plans co-reliés entre eux avec une parfaite cohérence. Les plans étaient ceux de la substance et de la forme, avec deux aspects paral- léles : ■ le conlenu et l'expression. Chaque langue impliquait par elle- méme une certaine vision de la réa- lité. Ainsi, chacune a une fagon de découper le spectre des couleurs: un nom de couleur comme notre bleu peut recouvrir ailleurs une couleur que nous appellerions vert ou méme une partie seulement de notre vert. De méme les langues avaient des phonemes différents, maie ceux- ci étaient réalisés avec les mémes moyens. La nature phonique, les sons émis, étaient découpés en pho- nemes par l'expression. Cette ana- lyse aboutissait å un classement des unité3 seion une hiérarchie de classes comme une serie d'emboite- ments successifs depuis l'unité « phoneme » jusqu'a l'unité « phrase >, les combinaisons sue- cessives rendant compte des regies spécifiques de chaque rang : les re- lations entre les termes ou fonetions

l’analyse du langage aux autres systéme3 fiémiotiques, aux langues artificielles, aux divers codes, comme celui de la signalisation routiére. Hjelmslev montre ainsi que le méme feu orange a des significations dif- férentes seion le systéme de rap- ports dans lequel il entre (orange aprés vert, orange aprés rouge). Son objectif se precise en vue de définir å travers les langues natu- relies les structures de tous les lan- gages possibles.

Est-ce å dire que la « glossémati- que» de Hjelmslev (c'est le nom qu'il donne å sa théorie du lan- gage), une des plus élaborées du structuralisme, soit enfermée dans eet effort d'inventaire, de réparti- tion et dans un mécanisme identi- fié avec la logique sous-jacente å tout énoncé ? On voit se préciser chez lui certaines ouvertures et cer- tains problémes qui ne trouvent pas chez lui une solution nette : pro- bléme des universaax linguistiques, c'est-d-dire des regies qui valent pour toutes les langues, probléme de la créativité (« une théorie doit pouvoir déerire et prévoir tous les textes cfune langue donnée >), pro- bléme de l'opposition entre les phra- ses réalisées, telles qu'elles se pré- sentent et la structure syntaxique sous-jacente, qui en permet l'inter- prétation (comment dissocier les deux sens de certaines phrases am- bigués). Mats Fapport décisif de Hjelm- slev, c'est d'avoir conduit la lin- guistique a user d'une méthode fondée sur la logique, de s'étre dé- barrassé des préjugés des positi- vistes qui croyaient que les faits parlaient d'eux-mémes, qui a donne la premiere place aux hypotheses sur le langage et non å la collection des petits faits. Hjelmslev est un théoricien de la linguistique, et aprés lui il ne sera plus possible d'igno- rer que la théorie précéde l’appli- cation. Il faut saluer cette traduction qui permet enfin aux leeteurs cultivés d'aborder un des grands classiques de la linguistique. Ne peut-on sou- haiter que d'autres éditeurs frangais suivent eet exemple : lirons-nous bientot les traductions des grands linguistes actuels, Noam Chomsky ou Zellig Harris, ou devrons-nous attendre encore plusieurs années ? JEAN DUBOIS. * Editions de Minult, 229 p„ 19,5 F.

«La revolution sexuelle» de Wilhelm Reich

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ES slogans de mai ont asso- cié la politique et le sexe. < Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la révolution; plus je fais la revolution, plus j’ai envie de faire lamour », écrivaient les enragés de la Sorbonne. Aujourd’hui encore, sur di- vers murs de Paris, s’inscrit en, lettres immenses cette in jon etion : « Jouissez... » Pour les contestataires, la révolution so- ciale et économique ne saurait étre sé- parée d’une révolution des mceurs. Ré- pression politique et repression sexuelle sont confues comme indissociables. C'est précisément ce que disait déjé il y a pres de quarante ans — et bien avant Marcuse — Wilhelm Reich. Révolutionnaire et psychanalyste mau- dit, il fut cltassé du parti communiste allemand et exdu du cercle analytique alors qu’il avait révé de concilier Marx et Freud. Adjniré dans les universités américaines, maitre & penser du S.D.S. allemand de Éudy Dutchke, Reich était beaucoup meins con nu en France. La récente traduction de la Révolution sexuelle, plaafoyér brulant en faveur de la libératipn sexuelle de la jeunesse, connait une Vogue tres importante dans le milieu étudiant. Dans son dlspensaire de Vienne, deux choses avaient paru évidentes a Reich. Les symptom« des patients (inhibitions sexuelles, fixations obsessionnelles a la morale conjugale, peur de la sexualité des enfants...) sont pour lui, grossis et soulignés, les traits de caractére que l’on rencontre chez l’individu moyen. En méme temps, cette « armure » dont l'homme de notre civilisation « se cui- rasse » (panzern), aussi bien contre sa sexualité naturelle que contre la morale répressive, lui apparait comme ce qui fait obstacle a la réalisation d’une vé- ritable révolution sociale. Pour Reich, il faut passer de la thé- rapeutique å la prophylaxie et entre-

"U moment ou les traditions, orales sont men;< -ées d’une disparition rapide, Finitiative de quelques sociolo- gues et linguistes africanistes frangais qui viennent de créer la collection « Classiques africains » apparait particuliérement heu- reuse. MM. Eric de Dampierre, spé- cialiste des Nzakara de la R-épu- blique Centrafricaine; Michel Leiris ; André Martinet; Joseph Tubiana, spécialiste du Soudan et de l’Ethiopie; Rouget, musicolo- gue réputé pour ses études sur la musique de cour au Dahomey, et Mme Denise Pauline, qui animent cette nouvelle collection, éditée chez Julliard, veulent préserver des oeuvres dont la valeur leur semble incontestable tant sur le. plan artistique que sous Fangie du témoignage historique. Repre- nant une idée de l’ethnologue Claude Tardits, secretaire géné- ral de FAssociation des classiques africains (1), ils entendent réali- ser pour la defense du patrimoine littéraire africain une æuvre com- parable å celle que l’association Guillaume Budé poursuit en fa- veur des études grecques et lati- nes. La présentation des volumes de la collection « Classiques afri- cains» n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle des célébres traduc- tions juxtalinéaires grecques et latines. Chaque volume comprend en effet un texte en langue afri- caine et sa traduction en francais ou en anglais. Ces textes sont accompagnés de larges introduc- (1) Musée de l’homme, départe- ment Afrique, place du Trocadéro, Paris-16e. iAA«VW»/VS/WWVWVWWWWV\AAAAAA^WVWWWVWWWWWWVWV/VW

LA COLLECTION DES « CLASSIQUES AFRICAINS » Une édition bilingue de textes ancestraux A

EVELYNE SCHLUMBERGER

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Histoire d’un oubli roman “Une cléchirante histoire d’amour ou jamais le talent, l’art d’écrire ne cessent d’imposer leur loi.” FRANgOIS NOURISSIER (Les Nouvelles Litte'raires) “Une ligne mélodique dont on ne se dét ache pas, tant elle sait bien dire la solitude de la passion et Ja douceur amére de 1 °ubll‘ CHRISTIAN GUIDICELLI (Combat)

Grasset |

Liana déerlvant avec minutie la soeiéié ou ils ont été recueiilis, ainsi que de précieux continental- res linguistiques, littéraires et ar- tistiques. Certes, contrairement aux ou- vrages publiés dans les collections Guillaume Budé, ceux-ci ne pré- sentent pas une littérature réel- lement classique; mais les res- ponsables de cette collection es- sayent en fait de livrer aux Afri- cains et aux Européens des textes que ceux-ci puissent un jour re- connaitre comme tels. Il s’agit essentiellement, seion l'expression d’Eric de Dampierre, de «hisser des textes ancestraux au rang de classiques de la littérature uni- verseile .. Entreprise d’autant plus difficile å mener a son terme que, dans la plupart des cas, les textes publiés ne proviennent pas de manuscrits. mais d’hommes qui en sont les propagateurs et les supports. Seuls, å travers le monde, les Anglais se sont lancés dans une entreprise analogue avec FOxford Library of African Litterature. Cette deuxiéme collection montre combien reste vivace Fancienne subdivision du continent noir entre les deux grands empires coloniaux. On regrettera d’autant plus vivement que chercheurs bri- tanniques et frangais aient, une fois encore, choisi d’agir en ordre dispersé. Quatre textes ont jusqu’a pré- sent été publiés : les Poétes Nsa- kara, par Eric de Dampierre ; la Poésie peule de l’Adamaioa, par Pierre - Francis Lacroix ; la Femme, la Vache, la Foi, par Alfa Ibrahim Sow ; le Mythe et les Contes de Sou, par Joseph Fortier. Les Nzakara constituent une des derniéres sociétés africaines prospeetées sérieusement. Grou- pés autour de la ville de Bengas- sou, dans la partie orientale de l’ancien Oubangui-Chari, long- temps réputés illettrés, ils repré- sentent en fait le foyer intellec- tuel de l’actuelle République Cen- trafricaine. Ils comptent de nom- breux poétes qui récitent en s’ae- compagnant de la harpe des oeu- vres qui, tout en ne relevant pas encore rigoureusement de la poé- sie au sens moderne du terme, n’ont déja plus aucun rapport avec les textes incantatoires des sociétés primitives. L'aspect sati- rique de certaines de ces æuvres, la liberté d’expression totale qui les caractérise, les apparentent, seion les spécialistes, å certains textes poétiques grecs antérieurs å Homére. La Poésie peule de l’Adamawa donne d'intéressants apergus sociologiques sur la vie des pas- teurs des plateaux du centre de la R,épublique fédérale du Came- roun. La Femme, la Vache, la Foi, d’Alfa Ibrahim Sow groupe le mefileur de la tradition orale et écrite des peuples du massif du Fouta-Djalon. Il s’agit d’æu- vres d’une grande diversité et d’une grande richesse, allant de la poésie politique aux charmes incantatoires des bergers. Remar- quablement traduits, ces poémes sont déjå considérés comme clas-

slques depuis des siécles dans toute Faire d'na’bltat clrs Penis, c’est-å-dire pratiquement dans toute l’Afrique occidentale. Quel- ques-uns de ces textes évoquent irrésistiblement le célébre Cantl- que des Cantiques de l’Ancien Testament et puisent leur inspira- tion å des sources semblables å celles qui guidérent l’esprit des pasteurs de la terre de Chanaan. Le lecteur est en tout cas frappé par plusieurs de ces documents qui rendent compte de contacts tres anciens entre le monde africain noir et le monde musul- man. Le Mythe et les Contes de Sou, recueiilis chez les Mbai de la région de Fort-Archambault au Tchad, témoignent pour leur part d’une truculence qui n’est pas sans analogie avec celle du Till Eulenspiegel germanique. Dans le méme esprit que ces contes Mbai, un chant épique gabonais de Zwe Nguema devrait parat- tre prochainement, ainsi que le chant Kasala des Luba de Patrice Mufuta, qui concerne une des plus attachantes ethnies du Congo ex-belge. Chacune de ces publications représente une contribution inap- préciable å, la connaissance du florilége de la littérature univer- seile. Elle constitue également une performance technique. Les difficultés de collecte des textes, de traduction, d’impression et de correction en font des ouvrages couteux — néeessairement sub- ventionnés. soit par l’Institut d'ethonologie, soit par le C.N.R.S., soit par le seerétariat d'Etat å la coopération. En tout état de cause, si les chercheurs qui ont réuni ces documents méritent quelque éloge, il parait juste d’associer å un tel hommage le maitre imprimeur Verbeke qui, å l’imprimerie Sainte-Catherine, de Bruges, contribue matériellement å donner vie å ces fragments de la tradition orale africaine.' PHILIPPE DECRAENE.

prendre cette révolution sexuelle, but supréme et condition de la révolution sociale. A Freud, il reproche son pes- simisme, sa conception d’un instinct de mort présent dans toutes les pro- ductions humaines, fussent-elles révo- lutionnaires. La psychanalyse ortho- doxe reste å ses yeux trop neutre, trop conserratrice aussi, eo refusant d’assu- mer un role social. Elle lui parait mé- me, comme la morale, conseiller le re- noncement & l’instinct. Reich met l’accent sur. l’importance du plaisir et de l’acte sexuel en tant que tel. Toute son oeuvre exalte la puissance génitale et Forgasme, et, pa- rallélement, dresse un réquisitoire d’une violence inoui'e contre la « misere sexuelle de notre civilisation *. Confiant dans l’idée que « la pleine puissance orgastique \est la condition de tout progrés humain *, Reich attaque avec force la morale conjugale et la famille, responsables seion lui de la misere sexuelle et fondements de la so- ciété injuste et autoritaire. Il dénonce cette « morale d’homme peureux et im- puissant», cause de l’hypocrisie et de la prostitution, de l’infidélité, et de la « mort d la vie sexuelle » des « bonnes épou-ses ». I/oppression de la famille ef de la.morale La familie est pour Reich une école de soumission pour l’enfant livré a des parents qui répriment leur propre sexualité et du méme coup la sienne. Elle est une « fabrique d’idéologie au- toritaire, et de structures mentales conservatrtces ». < Le pére, subordonné a la production et maitre dans la fa- mille, a l’aspect typique de Vadjudant- chef; il est le symbole de Vautorite de l’Etat. * La morale peut et doit étre suppri- mée. « L’individu sain, apte d la pleine satisfaction sexuelle, est capable d’auto- regulation », et Reich déerit en termes enthousiastes ce que seraient des rela- tions regies non par la morale coer- citive, mais par «l’économie sexuelle ». Reich pensait que l’TJnion soviétique instdurerait la revolution jexaelle. On sait ce qu’il en advint jfapidement, et toute la seconde partie de son livre est consacrée å l’analyse des «survi- vances de mentalités réaetionnaires » qui, seion lui, en expliquent l’échec. Mais l’idée méme d’une « révolution sexuelle » appelle bien des reserves. Si Reich a eu le mérite de maintenir au premier plan la sexualité au moment ou certains disciples de Freud enga- geaient la psychanalyse dans le moralis- me, il n’est pas douteux qu’il tombe dans un autre travers : une perspective exdusivement pédagogique. Sa croyance en une sexualité natu- relie le conduit å vouloir faire pour la société ce qu’aucun psychanalyste ne s’autorise å faire å l’égard de ses pa- tients: répondre réellement aux de- mandes au lieu de les analyser dans leur valeur symbolique ; cela le conduit aussi a ignorer que l’inconscient sera aussi impliqué dans le monde meilleur qu’il propose. Opposant légalité et nature, il méconnait totalement l’intri- cation que Freud avait décelée entre le désir et la loi. Certains admirateurs de Reich en viendront, comme Daniel Guérin, å croire que le complexe d’CEdipe est le produit d’une certaine forme de so- ciété et qu’il disparaitra dans une so- ciété socialiste. Mais Reich est un utopiste et c’est en cela qu’il peut séduire. Son æuvre exalte la vie et nous promet que le « bonheur sexuel de l-a population est la meilleure garantie de la sécurité de l’ensetnble social » et que les hommes sont d’autant plus semblables et égaux qu’ils sont moins névrosés. ROBERT HIGGINS. ir La Révolution sexuelle. Pour il n e autonomie caractérielle d e l’homme. Plon, 315 p., 28 F.

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Marcel HAEDRICH Je ^aiué En vente dans toutes les librairies EDITIONS DE TRÉVISE