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LINGUISTIQUE

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Expression et contenu

I Louis Hjelmslev Prolégoménes å une théorie du Langage Minuit éd., 227 p. Les Prolégoménes å une théorie du Langage ont provoqué chez les linguistes des réactions de révé- rence apeurée : Martinet déclare l’auteur « impitoyable pour les lecteurs », Greimas admire leur « densité faite de cascades de défi- nitions et de déductions », S. Lamb (de Berkeley) endéconseil- le la lecture « au lit », et Mounin, non sans quelque méfiance, parle de « tentative ambitieuse ». Aussi bien, le texte, publié en danois en novembre 1943, traduit en an- giais en 1953 par F.J. Whitfield, a-t-il attendu jusqu’en 1968 sa tra- duction frangaise. Il reste done å découvrir l’édi- fice hjelmslevien. Découverte d’une extréme importance, puis- que la glossématique trace des chemins non seulement å la lin- guistique, mais å l’épistémologie, å la sémiotique et en particulier å la sémiotique littéraire. La théorie glossématique est une épistémologie parce qu’elle est une théorie. La théorie du langage ne s’assigne nullement un but transcendantal, elle ne se croit pas tenue, comme celle de Chomsky, de fournir la clé du « systéme conceptuel et de lanatu- re psychique de l’homme »(p.10), elle refuse un humanisme « em- preint d’esthétique et de métaphy- sique» (p. 19). Son but est de montrer « le systéme sous-jacent au proces » du langage, non comme un objet préexistant et caché qu’il conviendrait de révé- ler, mais comme un objet qu’elle crée. (Althusser dirait peut-étre : qu’elle produit). Dans cette voie, Hjelmslev va plus loin que Saussure. Pourcelui- ci, la mise en évidence des struc- tures linguistiques produit un seul objet : les structures linguisti- ques. Pour Hjelmslev, elle produit deux objets : les structures, sépa- rabies, seion l’excellente formule d’O. Duerot (1), de « ce qu’elles structurent». Que l’on observe aprés cela des contradictions dans l’application å 1’« expérience » (ainsi celle du « principe d’empi- risme ») est sans doute regret- table, mais n’enléve rien å lavali- dité théorique de la théorie. Hjelmslev radicalise aussi Saussure sur un autre point : au primat saussurien du signe (dont Derrida montrera plus tard les « racines métaphysico-théolo- giques» (2) ), les Prolégoménes substituent le primat de la rela-

Louis Hjelmslev

tion. La distinction est d’une grande conséquence épistémolo- gique, le modéle théorique de la linguistique cessant des lors défi- nitivement d’étre le discours comparatiste et positiviste, pour devenir celui des mathématiques. Au plan purement linguistique, l’originalité de la théorie de Hj elm- slev est d’étre une combinatoire (Duerot). Le langage en effet est un objet purement relationnel. Tout fait linguistique se définit exelusivement par le nombre fini de relations qui le constitue. Les relations fondamentales sont au nombre de trois, que multi- plient les différents niveaux de leur application : par ex. : le niveau du proces et celui du sys terne. La relation essentielle est celle de dépendance, elle-méme fondée sur- le concept de présup- position. Dans l’interdépendance, deux termes se présupposent mu- tuellement (ex. : le nom latin est toujours accompagné d’une marque decasetréciproquement), dans la determination, l’un des deux termes présuppose l’autre : sine présuppose l’ablatif, mais non l’inverse ; dans la constella- tion, il existe un rapport récipro- que, non une présupposition. Il résulte de cette théorie un éclatement des divisions tradition- nelles de la linguistique en phono- logie, morphologie, syntaxe, et des apergus originaux sur les ex- objets de ces divisions : ainsi, il

existe des points communs entre la définition de la consonne (elle présuppose la voyelle et n’est pas presupposée par elle) et par exem- pie 1’article (il présuppose le nom, mais n’est pas présupposé par lui).’ Ces points communs permettent de dasser les éléments ainsi défi- nis seion les fonetions qu’ils font primat de la relation « ET» (les termes peuvent coexister), ou la fonetion « AUT » (les termes s’excluent). Sur ce point une critique pour- rait intervenir : les principes de « simplicité » et d’« exhaustivité», que préconise Hjelmslev lui-mé- me, semblent devoir entrainer le primat de la relation « ET » « AUT » sur la relation de dépen- dance. En effet, la grande diver- sité des relations de dépendance pose des problémes declassement (3), et, par ailleurs, le rapport entre les éléments du paradigme: «je, tu, il, nous, vous, ils » sem- ble éclairé par le fait qu’ils contrac- tent entre eux une fonetion «AUT», c’est-å-dire qu’ils s’ex- cluent mutuellement au niveau du proces. De cette conception relation- nelle du langage découlele décou- page du signe en expression et contenu. Il ne s’agit pas de la présentation, sous un nouveau conditionnement, de l’analyse saussurienne du signe. Pour Hjelmslev, l’expression n’est pas le signifiant, le contenu n’est pas le signifié. Expression et contenu, se présupposant mutuellement, se classent sous la relation d’« inter- dépendance », ce qui contredit partiellement la théorie de l’arbi- traire du signe. Par ailleurs, la division en forme et substance qui recoupe l’analyse en expres- sion et contenu permet d’aboutir å une nouvelle définition du signe: « l’unité constituée par la forme du contenu et la forme de V expres- sion, et établie par la solidarité que nous avons appelée fonetion sémiotique. » (p. 83) Définition plus rigoureuse car elle exelut du domaine linguistique non seule- ment, comme lefaisait déjåSaus- sure, le « sens », c’est-å-dire la « pensée » ou la « réalité » (« put port»), mais aussi bien la subs- tance de l’expression et la subs- tance du contenu. Un tel ascétisme fait gagner en rigueur å la glossématique ce qu’il lui fait perdre en dchesse. Cepen- dant, Chomsky a fait å Hjelsmlev une sévére critique en observant que, l’ordre des éléments n’étant pas pertinent dans la combina- toire, il manque å la glossémati- que la distinction entre structures profondes et structures superfi-

delles, ainsi que la notion de transformation. Dans les Éléments de sémiolo- gie. Barthes a souligné (4) l’ex- tréme importance de Hjelmslev dans la fondation d’une sémio- logie générale, héritiére de la sé- miologie saussurienne. A eet égard, les trois derniers chapitres des Prolégoménes sont exemplai- res : le renversement de la vieille conception des langues-nomen- clatures se trouve définitivement opéré : « // n’existe pas, déclare superbement Hjelmslev, de non- langage qui ne soit composante de lang age » (p. 170). Principe confirmé par une hiérarchie qui place dans la dépendance du lan- gage le reste du monde : le langa- ge dit de dénotation (ex. : les langues naturelles) s’analyse en plan de l’expression et en plan du contenu. Lorsque le plan de l’expression s’analyse å son tour en un langage, on a un langage de connotation (ex. : la littéra- ture). Lorsque le plan du contenu s’analyse en un langage, on a un métalangage : soit un métalan- gage scientifique (description d’un langage scientifique), soit une sémiologie (description d’un langage non scientifique, - le costume), soit une métasémio- logie : description des sémiolo- gies, c’est-å-dire description de la substance qui, provisoirement écartée, se trouve ainsi théorique- ment rejointe. Les analystes du langage litté- raire (Barthes, Todorov, Arrivé) n’ont pas manqué d’exploiter la théorie des langages de connota- tion. L’analyse littéraire devient des lors celle de la forme de l’expression, l’interdépendance expression/contenu et l’épreuve de commutation conduisant å constater que cette forme de l’ex- pression n’est pas paralléle å la forme du contenu, et å distinguer les fonetions de ce non-parallé- lisme. Le principe hjelmslevien de l’immanence, qui oblige å consi- dérer les textes comme cloture, et non, å la maniére des théori- dens de Tel Quel, comme produc- tivité, n’est pas sans géner la recherche :il manque encore apparemment un examen théori- que des Prolégoménes, travail qui présuppose qu’on lise Hjelmslev comme on a lu Saussure. Nicole Gueunier 1. Qu’est-ce que /c Structuralisms ? Seuil, éd. p. 78. 2. De la Granimatologie. Minuit, éd., p. 25. 3. A ce sujet, on regrette dans la traduction franqaise des Prolégoménes, l’absence de l’index. du lexique et de la table des « présuppositions» qui font le prix de l’édition anglaise. -1. Bien qu’il ne cite pas explieitement les Pro- légoménes.

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