Morengejm, Artur Pavlovitj BREV TIL: Gortschakov, Alexander Michailovitj FRA: Morengejm, Artur Pavlovitj (1868-04-07)

Bilag Nr. 1. Baron Mohrenheim, russisk Gesandt i København, til Fyrst Gortschakow,
St. Petersborg
.
(Copie).
Lettre particulière,
Très-Secrète.
Berlin, 7 avril 1868.

Mon Prince,

Le comte de Frijs vient de charger M. de Quaade de m’initier de sa part et tout-à-fait confidentiellement à certaines insinuations que le Cte de Bismarck lui avait fait parvenir à la sourdine par l’entremise discrète de l’Envoyé de Danemark, et qui semblent préluder à un accommodement donnant satisfaction aux voeux du cabinet de Copenhague dans des voies différentes de celles qui ont été suivies jusqu’ici.

L’intention du Cte de Bismarck, et la condition dont il a, pour ainsi dire, fait dépendre le succès de l’essai dont il suggère l’idée secrètement, c’est qu’il n’y soit pas donné suite dans les formes diplomatiques ordinaires, mais, en quelque sorte, en dehors de la filière officielle, et de façon à ce que les correspondances particulières seules en conservent des traces.

Pour procéder par ordre, je dois commencer par reproduire les termes dans lesquels M. de Quaade m’a fait part de l’accueil qu’a rencontré ici la réponse déclinatoire danoise dont rend compte mon rapport du 12 mars. M. de Thile, gérant à cette époque le Ministère, après avoir dit à l’Envoyé de Danemark qu’il en avait pris connaissance mit Bekümmerniss, lui demanda s’il devait la considérer comme mettant fin aux négociations. M. de Quaade répondit que rien ne serait plus opposé aux vues de son gouvernement, qui espérait, au contraire, que les objections qu’il y faisait s. 34valoir seraient prises en considération. Les choses en demeurèrent là pendant quelque temps. Le président du conseil ayant repris sur ces entrefaites la direction des affaires, M. de Thile vint, peu de jours après, trouver un matin M. de Quaade de la part du Cte de Bismarck pour lui faire trèsconfidentiellement les ouvertures dont je viens d’avoir reçu, à mon tour, confidence, et que je me fais un devoir de porter aussitôt, mon Prince, à Votre connaissance sous cette forme de correspondance particulière qui répond aux vues du chef du cabinet prussien.

3

La réponse danoise n’avait pas déplu au président du conseil, qui désirait sincèrement arriver à un arrangement satisfaisant pour les deux parties, mais qui n’espérait pas y parvenir par les voies ordinaires. L’âge du Roi exigeait des égards et des ménagements, qui ne permettaient pas au président du conseil de faire de cet arrangement une question de cabinet. Mais, dans le fond, ce n’était pour le Roi qu’une affaire de sentiment (Gemüth). C’était à la fibre du coeur qu’il fallait s’adresser, — et M. de Thile, interrogé par son interlocuteur sur le comment, insinua que le moyen le plus propre serait celui qu’indiquaient naturellement les relations de famille. M. de Bismarck ne se croyait pas, pour le moment, en droit d’en dire davantage, vu l’état où se trouvait encore la question; néanmoins il crut pouvoir ajouter qu’il était convaincu du bon accueil réservé aux démarches qu’il avait pris sur lui de suggérer secrètement.

Avant de saisir son propre gouvernement d’ouvertures aussi graves et aussi délicates, M. de Quaade, mû par un sentiment de judicieuse prudence, tint à prévenir de prime abord tout ce qui pourrait prêter, par la suite, au moindre malentendu, et, à cet effet, il donna à M. le sous-secrétaire d’Etat connaissance textuelle des termes de son rapport, conçu sous forme de lettre particulière très-confidentielle au Cte de Frijs. M. de Thile les approuva dans leur moindre nuance, affirmant que telle était exactement la pensée du s. 35Cte de Bismarck, et ajoutant qu’en la faisant secrètement parvenir au Cte de Frijs, il lui donnait la preuve la plus éclatante de la pleine confiance qu’il plaçait dans sa loyauté.

Le président du conseil danois, après avoir pris les ordres du Roi, abonda dans le sens des suggestions prussiennes, et chargea M. de Quaade d’en avertir le Cte de Bismarck. A cette occasion, le Ministre de Danemark fit également pressentir que ce serait de préférence à Sa Majesté l’Empereur, notre auguste Maître, que le Roi S’adresserait pour faire appel aux sentiments du Roi de Prusse. Il lui fut répondu qu’aucun choix ne pourrait être plus agréable, ni mieux assuré d’exercer une influence efficace. En même temps, le Cte de Frijs autorisa M. de Quaade à mettre à profit ma présence pour m’initier, en son nom et de sa part, aux détails de cette affaire, et pour convenir avec moi, comme il l’eût fait lui même à Copenhague, de la marche ultérieure à suivre dans les voies extraofficielles indiquées par le Cte de Bismarck. Le Ministre de Danemark, en s’acquittant on ne peut plus obligeamment de cette commission, me fit observer que son auguste Souverain ne pourrait être retenu que par un scrupule de délicatesse, qui Lui ferait redouter de paraître importun en recourant une fois de plus aux bons offices de l’Empereur, dont Il avait déja à plus d’une reprise recueilli de précieux témoignage; que le Roi aurait, par conséquent, avant tout à coeur de S’assurer que notre auguste Maître tiendrait pour agréable une nouvelle démarche dans ce même but.

Je dis à M. de Quaade que, pour répondre de mon mieux à la marque de confiance dont m’honorait son gouvernement, mon premier soin serait de rendre un compte fidèle de cette démarche à Votre Excellence, par l’entremise du Ministre de l’Empereur à Berlin, auquel j’étendais la confidence tout comme je l’eusse fait si je me trouvais à Copenhague même; que, sans qu’il fût permis à personne de préjuger les hautes décisions de l’Empereur, personne, non s. 36plus, n’était en droit de concevoir le moindre doute quant à l’extrême satisfaction qu’éprouverait le coeur de Sa Majesté à opérer un rapprochement, aussi conforme aux sentiments affectueux qu’Elle porte aux deux Rois, qu’aux intérêts les mieux entendus des trois pays; mais que l’Empereur, Lui aussi, devrait nécessairement tenir avant tout à S’assurer de l’agrément de Sa Majesté danoise, car le succès de Son intervention officieuse devrait, en grande partie, dépendre des termes et des limites dans lesquels Il Se croirait autorisé à formuler une démarche, dont le vague pourrait aisément compromettre la portée pratique. C’est un point sur lequel il n’était pas inopportun de fixer son attention d’avance, car, aussitôt qu’à la suite du rapport que j’allais adresser à Votre Excellence, également sous forme de lettre particulière très-secrète, suivant les vues du Cte de Bismarck, — Sa Majesté le Roi Se serait assuré, par un avis de St. Pétersbourg, de l’assentiment empressé de l’Empereur, il importerait au plus haut degré de ne pas laisser échapper le moment favorable en ne procédant qu’avec lenteur, mais de s’engager résolûment dans la voie indiquée, et, dès-lors, il était urgent de se rendre bien nettement compte au préalable de la question de forme, appelée à exercer une action importante. A l’époque où elle se présenterait, je me retrouverais déjà à mon poste, et je me mettrais tout entier à la disposition du Cte de Frijs; mais je croyais devoir dès-aujourd’hui émettre l’avis que la précision la plus exacte des voeux du gouvernement du Roi me semblait seule propre à assurer l’heureux résultat que nous poursuivrions désormais tous en commun.

3*

Pour établir le premier jalon d’une manière fixe et autentique, M. de Quaade a eu l’extrême obligeance de me proposer lui-même de me donner par écrit la traduction française littérale 1) du passage de son rapport rendant compte s. 37des ouvertures prussiennes. 1) Je me fais un devoir de le joindre ci-près en original. C’est le texte approuvé par M. de Thile.

De mon côté, mon Prince, je donne connaissance textuelle de la lettre que j’ai l’honneur de Vous adresser, aussi bien à M. de Quaade qu’à M. d’Oubril, que je prie de la faire parvenir à votre Excellence par son premier courrier.

Mohrenheim.

Afskrift.